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de noter en passant que, dans l’exposé des motifs de la loi sur les fonds secrets, le ministère déclare que c’est par déférence pour les avis du parti conservateur qu’il n’a pas donné sa démission. C’est donc à ce parti qu’il renvoie nettement la responsabilité de la conduite politique qui vient d’être tenue. Ainsi, première différence entre 1839 et 1845 : 1839 s’adresse au pays ; 1845 se défie de l’opinion politique ; il la brave en même temps qu’il la craint ; il essaie de durer. Autre différence. En 1839, le parti conservateur ne se dit pas : Nous sommes 213 contre 205, et nous ferons vivre le ministère en dépit du pays, en dépit de l’opposition et en dépit de lui-même. Non, il a une conduite plus habile et plus prudente ; il se dit : Comme majorité, nous sommes trop faibles pour soutenir un ministère chancelant ; comme fraction de la chambre, nous sommes plus puissans que toutes les autres factions. Nous ne faisons plus peut-être la majorité, mais nous pouvons la donner. Il faut donc que les hommes qui veulent arriver au pouvoir comptent avec nous. Nous ne pouvons plus rien contre eux et sans eux ; mais ils ne peuvent rien sans nous. Voilà quelle a été la pensée du parti conservateur en 1839. Voici quelle aurait dû être sa pensée en 1845 : laisser mourir qui doit mourir, régler les conditions auxquelles peut vivre ce qui doit vivre. Il pouvait donner l’exclusion à qui bon lui semblait ; il pouvait régler à son gré le programme du nouveau ministère, hommes et choses. Il a mieux aimé prolonger la vie d’un mourant.

Malheureusement, il s’aperçoit tous les jours qu’il a tenté là une œuvre contre nature. Il n’empêchera peut-être pas le ministère de mourir, malgré tous les efforts généreux qu’il fait pour cela ; mais, à coup sûr, il ne pourra pas le faire vivre. Nous l’en délions. Et le fît-il vivre, il faudra arriver aux élections, et là le ministère mourra, et le parti conservateur risque fort d’y périr avec lui. Voilà ce que sentent peu à peu les hommes éclairés du parti : ils se voient sur une pente qui les entraîne à l’abîme ; ils sentent qu’ils se sacrifient sans même pouvoir sauver le ministère auquel ils s’offrent en holocauste. Ces pensées-là sont tristes, déplaisantes. De là le sentiment de découragement qui saisit peu à peu tout le monde. Nous ne savons pas quel sera, dans le prochain vote, le résultat de ces dispositions ; mais nous soutenons qu’elles existent. Il faudrait donc, pour caractériser cette nouvelle situation, à côté des conservateurs dissidens, créer en quelque sorte une nouvelle catégorie des conservateurs inquiets et ébranlés. Ceux-là ne voteront peut-être pas contre le ministère ; mais, à coup sûr, ils sont mécontens de voter pour lui. Ils voudraient, pour beaucoup, qu’un accident quelconque vînt, pour ainsi dire, dégager leur parole et leur amour-propre. Ils ne veulent pas pousser le ministère, mais ils seraient enchantés qu’il tombât, et c’est là, selon nous, la plus grande et la plus sérieuse cause de la chute inévitable et prochaine du ministère. Il pourra encore trouver dans l’urne les deux ou trois suffrages de majorité à l’aide desquels il a prétendu avoir le droit de vivre depuis l’adresse : il ne retrouvera plus même les