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c’est alors que les confréries maçonniques durent déployer leur plus grande énergie et faire preuve de cette persévérance que l’esprit d’association peut seul inspirer. Sans le secours de ces confréries, jamais, encore une fois, l’architecture à ogive n’aurait accompli sa destinée. Ce système de proportions, ce système de construction, ce système d’ornementation végétale et indigène, dont nous avons constaté l’existence ; l’unité, l’harmonie, la conséquence qui règnent dans les œuvres de cette architecture une fois parvenue à sa perfection, tout cela était impossible sans les confréries, c’est-à-dire sans une science à la fois traditionnelle et expérimentale transmise comme un mot d’ordre de générations en générations. Si l’art de bâtir, échappant aux mains de l’église, fût tombé à la merci des caprices individuels et d’une liberté non organisée, au lieu des chefs-d’œuvre du XIIIe siècle, nous aurions eu un pêle-mêle anarchique de tous les styles. Heureusement la foi, l’oubli de soi-même, toutes les vertus qui font naître et durer les associations, étaient encore vivaces dans ce monde : l’art pouvait impunément se séculariser ; à défaut de l’église spirituelle, il trouvait dans la franc-maçonnerie une sorte d’église laïque, au sein de laquelle il devait se perpétuer et se maintenir pendant trois siècles, comme un secret, mystérieux et respecté.

Ainsi, pour tout résumer, peu importe que l’ogive, en tant que forme géométrique et architecturale, ait été mise en faveur par telle ou telle cause accidentelle, et que ces causes soient plus ou moins nombreuses ; ce qui est d’un véritable intérêt, c’est de savoir par qui, comment et pourquoi elle a été convertie en système, et d’où est venue à ce système une physionomie si tranchée, si originale, si exclusive, si incompatible avec tout autre genre d’architecture. Une fois qu’il est reconnu que l’esprit de liberté, l’esprit séculier et laïque, l’esprit du XIIe siècle, est, sinon le créateur, du moins le principal promoteur de ce système ; que la fortune du plein cintre, au contraire, se lie à celle des idées et des institutions dont la société nouvelle tend à s’affranchir, dès-lors les mélanges, les amalgames, les contradictions de l’époque de transition ne sont plus des bizarreries inintelligibles, nous en pénétrons le sens, nous leur trouvons une signification. L’architecture devient pour nous un reflet, presque toujours fidèle, des évènemens dont la société est le théâtre. Ainsi, dans celles de nos villes où les tentatives d’émancipation sont tardives, timides ou immédiatement comprimées, dans les abbayes, dans les communautés, dans tous ces pieux asiles défendus par une triple enceinte contre les invasions des idées nouvelles, l’ancien style persiste long-temps, et ce