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les deux sortes d’architectes devaient aussi se trouver en présence : d’un côté, la cohorte cléricale, les champions de l’esprit d’autorité, s’efforçant de maintenir le système et les traditions du plein cintre ; de l’autre, les libres constructeurs, les maîtres d’œuvres, comme ils s’intitulaient, s’appropriant l’ogive, s’en façonnant un système, et s’en servant comme d’une arme pour se rendre maîtres à leur tour de l’art de bâtir.

Jamais toutefois ce système laïque n’aurait triomphé, si ceux qui le soutenaient n’eussent été que des individus isolés. Aux associations monacales, dépositaires des traditions hiératiques, il fallait opposer d’autres associations organisées avec assez de force pour durer et pour devenir à leur tour gardiennes de traditions, avec assez de mystère pour ne pas éveiller dès le début de dangereuses résistances. Telles furent les confréries maçonniques, les fraternités de constructeurs (fraternitates) dont l’existence dès le XIIe siècle, dans l’lle-de-France et dans la Picardie, ne saurait être mise en doute. Il est vrai que c’est seulement vers la fin du XIVe, et principalement aux bords du Rhin, que la grande institution des francs-maçons commence à prendre un caractère historique, c’est alors qu’elle s’organise sur une vaste échelle, et qu’elle cherche à donner à ses statuts une nouvelle autorité ; mais cela même est une preuve qu’elle existait depuis long-temps. Les francs-maçons du XIVe et du XVe siècle n’avaient plus rien à inventer de nouveau, l’architecture qu’ils professaient était triomphante, incontestée, et avait produit ses plus beaux chefs-d’œuvre. Si nous les apercevons alors pour la première fois dans l’histoire, tandis qu’antérieurement il faut les y deviner, c’est que, leur institution se relâchant, ils commençaient à divulguer eux-mêmes leur propre existence. Pourquoi dans leurs nouveaux statuts se recommandent-ils si sévèrement le secret ? Parce qu’ils se surprenaient sans doute à ne le plus bien garder. La formation des loges allemandes du XVe siècle passe donc à tort pour la création des confréries maçonniques ; elle n’en est qu’une réorganisation, motivée probablement par des symptômes de décadence. Le propre de ces sortes d’institutions est de n’avoir jamais autant de vigueur et de discipline que dans leurs commencemens ; il est donc permis de croire non-seulement que la confrérie des francs-maçons existait depuis au moins deux siècles, lors de l’établissement pour ainsi dire officiel des loges, mais que les jours de sa plus grande, de sa réelle puissance étaient déjà passés.

C’est pendant la lutte entre les deux styles, quand il fallait triompher des habitudes et des routines du passé, quand il fallait diriger dans des voies régulières, méthodiques, savantes, le système vainqueur,