Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/747

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’en risquant d’en être légèrement atteint si on échoue, M. Mérimée s’est gardé en tout temps et avec bon goût de ces poses athlétiques et de ces airs prétoriens. Il a voulu demeurer, après le succès, ce qu’il était au début, c’est-à-dire, un écrivain net et naturel, un narrateur parfait, qui s’est volontairement tenu sur son terrain propre, et qui a mieux aimé être roi heureux chez lui que conquérant contesté au dehors. J’aime que de bonne heure on règle ainsi et circonscrive ses désirs : c’est la marque d’un tempérament littéraire vraiment sain. L’éparpillement n’est jamais un signe de force. Certes, quand M. Mérimée s’est fait par occasion antiquaire, quand il est entré en passant à l’Académie des Inscriptions, on peut dire que ce n’a pas été chez lui une de ces fantaisies maladives qui traversent et détournent la plupart des carrières littéraires d’à présent ; au contraire, il n’a fait en cela que suivre un penchant, développer une qualité, ajouter à son domaine le champ qui y confinait. L’un des plus frappans caractères, en effet, du talent de conteur chez M. Mérimée, c’est de traiter les choses d’imagination comme des matières historiques : il est si vrai, qu’il a l’air de ne pas inventer ; il inspire si bien l’illusion de la réalité, qu’on le prendrait pour un exact érudit. C’est ainsi que M. Mérimée, même quand il essayait de changer de route, a toujours su approprier le choix de ses sujets à sa nature de peintre habile, à sa vocation d’écrivain précis et sobre d’ornemens. En un mot, il n’a eu d’ambitions que celles qu’il pouvait atteindre ; il n’a pris la plume que quand une idée lui venait ; il n’a jamais brusqué l’art ni en rien devancé l’heure. C’est ce que j’appelle une carrière bien faite, et où le talent a toujours à merveille aidé l’à-propos.

A l’Académie, on ne se remplace pas, on se succède. Il y a cependant une certaine appropriation de convenance et je dirais presque de bon ton que l’illustre compagnie aime, avec raison, à observer dans ses choix. L’éloge d’un philosophe semble étrange sur les lèvres d’un vaudevilliste, et, on en conviendra, c’était hautement manquer à la mémoire de M. de Bonald que de confier la tâche d’une si sérieuse biographie à M. Ancelot. Cette fois-là (et ce fut par hasard, je le veux croire), l’Académie s’oublia ; elle donna à la tradition ce que Montaigne appelle une nazarde. En voyant l’auteur de Colomba s’asseoir l’autre jour dans le fauteuil de l’auteur de Séraphine, on se disait au contraire que jamais legs académique n’avait eu d’héritier, sinon plus direct, au moins plus légitime. Nodier et M. Mérimée appartiennent tous deux à la famille des aimables conteurs ; ils sont pareras, mais sans se ressembler ; ils sont frères, mais avec des natures diverses