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entouré d’ogives, aura dû concourir à sanctifier, à populariser cette nouvelle sorte d’arcades ; mais toutes ces causes, et tant d’autres également secondaires, auraient été sans vertu par elles-mêmes, si elles n’eussent été dominées et mises en mouvement par une cause supérieure.

Cette cause n’est autre, selon nous, que l’esprit même du XIIe siècle, esprit novateur, hasardeux, systématique. N’est-ce pas à lui que sont dus les premiers combats de la raison contre l’autorité, de la bourgeoisie à sa naissance contre la féodalité à son déclin, des langues populaires et vivantes contre la langue antique et sacerdotale, près de devenir langue morte ? Au milieu de cette lutte générale, de ce mouvement universel des esprits, lorsque tout change et se transforme, l’architecture pouvait-elle rester immuable ? Le style qu’elle avait adopté depuis tant de siècles n’avait-il pas même durée, même origine, même fondement, pour ainsi dire, que cette autorité qu’on attaquait à coups redoublés ? Le plein cintre n’était-il pas comme identifié avec l’ancien état de la société ? n’en était-il pas le représentant, le type, le symbole ? A la société nouvelle, à cette société tourmentée d’une fièvre d’affranchissement, il fallait un nouveau type, un nouveau symbole, un autre drapeau. Maintenant, pourquoi l’ogive plutôt que toute autre forme, plutôt que la ligne horizontale et l’architrave, par exemple ? C’est là, qu’on nous permette de le dire, le petit côté de la question. Toute révolution est à la fois accidentelle et nécessaire. Ce qui était purement accidentel alors, c’était la forme qu’adopterait la nouvelle architecture : ce qui était nécessaire, c’était qu’il se formât un style nouveau, que ce style se rattachât à l’ancien par de nombreux élémens communs, mais qu’il s’en séparât par certains élémens propres et par une originalité visible et saisissante. L’ogive s’est trouvée là, favorisée et mise en évidence par ces causes multiples et accessoires que nous avons signalées ; sa forme insolite semblait prédestinée à caractériser un mouvement tout nouveau des esprits. Tel est, selon nous, le secret de sa fortune.

Et qu’on ne croie pas que ce sont là de chimériques conjectures. Montrons combien sont réels les rapports qui rattachent l’origine et les progrès de l’ancienne architecture à la révolution sociale du XIIe siècle.

Le caractère dominant de cette époque, ce n’est pas seulement le besoin de l’émancipation, c’est la tendance à la sécularisation. La société, jusque-là exclusivement monacale, aspire pour la première fois à devenir laïque. La puissance temporelle de l’église, après avoir atteint son apogée, est sourdement menacée jusque dans ses fondemens. La foi ne perd rien de son ardeur, mais elle aussi se sécularise pour