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cause ? Cette cause est futile et insaisissable, s’il ne s’agit que du caprice de quelques individus ; mais ne peut-elle pas être grave et profonde, lorsqu’il est question des habitudes de tout un peuple ? Or, d’où est née la mode qui, pendant le XIIe siècle, fit adopter universellement, dans une moitié de l’Europe, un nouveau genre de construction ? La question, comme on voit, reste toujours au même point.

Cette révolution doit-elle être attribuée uniquement, comme d’autres l’ont voulu, à la nécessité toujours croissante d’exhausser les églises, soit par zèle religieux, pour mieux honorer la Divinité, soit par motif de salubrité, pour prévenir l’asphyxie des fidèles ? L’ogive, il est vrai, s’emploie utilement dans les constructions d’une grande hauteur ; mais on peut faire des monumens très élevés sans se servir de l’ogive. Les cathédrales de Mayence, de Worms, de Spire, ont tout autant d’élévation que beaucoup de grandes églises du XIIIe siècle, et leurs arcades sont toutes à plein cintre. L’architecture à ogive ne serait donc pas devenue d’un usage nécessaire, universel et exclusif, s’il n’y avait eu d’autre motif de l’adopter que le besoin d’élever de très hautes murailles. Ce n’est encore là qu’une cause secondaire, ce n’est pas l’explication que nous cherchons.

La trouverons-nous, comme on l’a souvent prétendu, dans ces voyages en Orient, si fréquens à la fin du XIe siècle ? Mais, comme il n’existe en Orient de monumens réellement analogues à nos monumens à ogive que ceux qui y ont été construits depuis le XIIIe siècle par des Européens, peu nous importe que les croisés aient eu occasion d’apercevoir çà et là quelques arcs brisés sur des pans de murailles arabes ; il est probable qu’en cherchant bien, ils en auraient trouvé même en Occident. Ce qu’ils ne pouvaient, au contraire, rencontrer nulle part, c’était l’architecture à ogive, car elle n’est arrivée toute faite ni d’Orient ni d’aucun autre point du globe. Elle s’est formée dans nos climats[1] : comment et pourquoi s’est-elle formée ? c’est là toujours qu’est la question.

Un point nous paraît évident, c’est qu’elle n’a pas été le produit d’une cause unique, et qu’elle résulte du concours d’une foule de circonstances diverses. Ainsi la tendance à exhausser de plus en plus les constructions aura certainement contribué à son développement : le souvenir du tombeau de Jésus-Christ, s’il est vrai qu’il fût dès lors

  1. Si elle eût existé en Orient, comment aurait-elle pénétré si difficilement et si imparfaitement dans les pays de l’Europe méridionale ? comment serait-elle devenue si populaire dans le Nord ?