Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en voie de construction, n’était pas en état de recevoir dignement la dépouille du prélat. Ses deux successeurs, Beaudoin III et Étienne Ier, furent également ensevelis à Ourscamp, et ce n’est qu’en 1228, lors de la mort de l’évêque Gérard, que l’antique usage fut enfin rétabli pour se perpétuer ensuite sans exception jusqu’à la fin XIVe siècle.

Nous ne voudrions pas, sur la seule autorité de ce fait, affirmer qu’avant l’épiscopat de Gérard, c’est-à-dire avant 1221, la cathédrale de Noyon ne fût pas entièrement reconstruite ; nous voudrions encore moins soutenir le contraire. Quelle que soit l’homogénéité de la construction, et malgré le grand caractère d’unité qui résulte d’une persistance presque constante dans le même plan, nous sommes convaincus que les travaux ont dû se continuer long-temps. Se seront-ils prolongés au-delà de l’an 1200 ? personne n’en peut répondre ; mais, en examinant de près certaines parties de la nef et en particulier ces bases de colonnes au profil si vivement accentué, il nous semble permis de croire que, si elles n’ont pas été sculptées au XIIIe siècle, elles ne l’ont pas été du moins beaucoup plus tôt que la fin du XIIe.

Ainsi, en dernière analyse, la cathédrale de Noyon doit prendre rang, selon nous, parmi les monumens de transition de la deuxième et de la troisième époque : conçue et entièrement ébauchée de 1150 à 1170, elle n’aura été totalement sculptée, ragréée et parachevée que vers la fin du siècle, et peut-être même un peu au-delà.

Dans ce même intervalle, nous ne le dissimulons pas, on voit s’élever des monumens qui n’ont pas avec celui-ci une complète analogie : ainsi, pour ne pas sortir du voisinage de Noyon, nous citerons la cathédrale de Senlis ; on connaît assez exactement toutes les phases de sa construction. Elle aussi fut entreprise vers le milieu du XIIe siècle, en 1155 environ, et à peine terminée vers 1191. Les deux édifices sont donc contemporains, ils auront été conçus et exécutés presque simultanément, et cependant n’existe-t-il pas entre eux une différence fondamentale ? A Senlis, on a proscrit le plein cintre ; à Noyon, on l’a respecté[1].

  1. Ce n’est pas seulement la cathédrale de Senlis qu’il faudrait comparer avec celle de Noyon ; il y a dans l’ancien diocèse de Senlis une autre église, moins célèbre que la cathédrale, mais non moins digne d’intérêt, l’église de Saint-Leu d’Esserent, qui offre peut-être matière à un parallèle encore plus instructif et à des contrastes plus frappans. L’église de Saint-Leu présente de telles analogies avec la cathédrale de Noyon, soit par la conception du plan, soit par la nature des profils et de toutes les particularités essentielles de la construction, qu’il n’est guère possible de ne pas les regarder comme à peu près contemporaines. Eh bien ! à Saint-Leu on ne trouve pas un seul plein cintre, ni au dedans ni au dehors de la nef et du chœur ; il n’en existe que sur la façade occidentale. C’est uniquement sur cette partie de l’édifice qu’il a été fait une concession à l’ancien style ; partout ailleurs il est exclu. Non-seulement le plein cintre n’apparaît pas dans l’église, mais il n’y est question ni de l’alternance des supports multiples et des supports cylindriques, ni des annelures, ni des transsepts arrondis. Tous ces souvenirs des anciennes traditions ne pénètrent pas à Saint-Leu, et néanmoins, entre Saint-Leu et Noyon, l’analogie est extraordinaire et leur contemporanéité est évidente. D’où vient donc qu’à Saint-Leu aussi bien qu’à Senlis on a, dans le même moment, suivi d’autres erremens qu’à Noyon ? C’est ce que nous essayons d’expliquer dans le paragraphe suivant. (Voir la note de la page 72. Note 2, par. IX)