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n’avait pas relevé la triste fortune, sentait dans toute son amertume la déchéance de sa race et l’espèce d’amnistie dont elle portait le poids. Il éprouvait l’ardent désir de la replacer au niveau de son origine en lui reconquérant une place usurpée par des princes étrangers au sang de saint Louis, et les périls mêmes qu’il avait à traverser dans sa lutte contre la maison de Lorraine étaient un stimulant pour cet esprit aussi enclin à l’action qu’au plaisir et à l’intrigue qu’à la guerre. Condé décida du sort de la maison de Bourbon, car le parti pris par le chef de la branche cadette entraîna bientôt le jeune représentant de la branche aînée. Il aurait subi du seul conflit de ces ambitions princières pour troubler le règne d’une femme et d’un enfant. Ces grandes factions réunissaient en effet tous les personnages dont le nom faisait alors autorité dans la nation, dans l’église ou dans l’armée, et la royauté n’aurait pu trouver en dehors d’elles ni force matérielle ni force morale.

Cette époque était donc prédestinée à des luttes inévitables. Toutefois, ces luttes se seraient livrées à la surface de la société, et auraient fini, comme toutes les prises d’armes de cette nature, par transaction ou par lassitude, si un intérêt plus élevé n’était venu agrandir la sphère où s’agitaient toutes ces cupidités. Dans sa course rapide à travers l’Europe, le protestantisme avait rompu l’unité de l’Allemagne, bouleversé l’Angleterre, changé la face des monarchies du Nord. De Genève, il s’étendait sur la France, et faisait les plus grands efforts pour vaincre les résistances qu’il rencontra dès l’origine dans les corps de l’état et surtout dans le pouvoir municipal, expression et organe des populations elles-mêmes.

A juger de la réforme par l’état où elle est aujourd’hui descendue, on a quelque peine à s’expliquer l’ardeur et le dévouement de ses premiers apôtres. Le protestantisme ne présente nulle part aujourd’hui un corps de doctrine religieuse, et, en l’envisageant sous cet aspect, il est assurément moins menaçant pour l’unité catholique que ne le fut l’arianisme au IVe siècle, ou le pélagianisme au Ve. Si l’on ne mettait au premier rang les circonstances politiques qui firent du protestantisme l’instrument d’une révolution européenne, il serait impossible de s’expliquer une propagation aussi rapide, car quelle œuvre reposa jamais sur des idées moins concordantes, quelle doctrine marcha aussi audacieusement de contradictions en contradictions ? La réforme proclamait l’indépendance de la raison humaine en continuant de l’enchaîner à des dogmes laissés désormais sans interprétation comme sans autorité. En prétendant maintenir à la parole