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se vit contrainte de tout laisser en souffrance. Aux premiers jours de tranquillité pourtant, on songeait à relever, ou, pour mieux dire, à fonder le crédit public, en même temps que le système tributaire, quand M. da Costa-Cabral s’en alla proclamer la charte à Porto et remettre les armes aux mains des partis. M. da Costa-Cabral, après sa victoire, ayant pris pour collègue M. Gomes de Castro, revint tout naturellement aux opérations de 1834. Cette fois pourtant, on voulut que l’impôt vînt en aide à l’emprunt, et, sans aucun doute, c’était là un progrès considérable. Par malheur encore, autant le principe était raisonnable, autant l’est peu la manière dont on s’y est pris pour le mettre en pratique : sans renoncer à aucune des exagérations de l’emprunt, le gouvernement de M. da Costa-Cabral a eu recours à toutes les exagérations de l’impôt.

En Europe, comme en Asie et en Afrique, le royaume de doña Maria renferme un peu plus de cinq millions de sujets ; le Portugal seul et les îles européennes en renferment trois millions huit cent mille environ. Pour maintenir l’ordre dans la métropole et les colonies, le gouvernement de M. da Costa-Cabral entretient une armée que les chiffres officiels font monter à près de 29,000 hommes, mais qui en réalité se réduit à 18,000 fantassins et à 1,800 cavaliers. De sa toute-puissante marine, le Portugal n’a conservé que 2 vaisseaux de ligne de 80 canons, et 37 autres bâtimens de grandeurs diverses, frégates, corvettes, bricks, schooners, cutters, qui, avec un bateau à vapeur et les 2 vaisseaux de ligue, portent à peu près 944 pièces d’artillerie. C’est la marine et l’armée qui, avec les intérêts de la dette publique, absorbent, et au-delà, les ressources nationales. Pour bien faire comprendre les embarras dans lesquels se débat le gouvernement de Lisbonne, il nous suffira d’exposer ici les principaux chiffres de la dette : à l’intérieur, la dette est de 32,708 contos de reis[1], ou d’environ 198 millions de francs, et supporte un intérêt de 1,443 contos (9 millions de francs ou peu s’en faut) ; à l’extérieur, elle est de 48,000 contos (276 millions de francs), à un intérêt de 2,435 contos, environ 15 millions de notre monnaie. Réunies, les deux dettes forment un effrayant total de 80,708 contos de reis, un peu plus de 484 millions de francs, supportant un intérêt de 3,938 contos ou près de 24 millions de francs ! Et encore, n’est-il question ici que de la dette consolidée : à ce chiffre énorme il faut joindre celui de la dette non-consolidée, composée surtout d’une foule d’obligations et de petits emprunts antérieurs à la restauration de doña Maria, d’un incroyable arriéré de soldes, de pensions, d’appointemens, dus par les divers ministères, et qu’on a pris le parti de capitaliser en 1841. Il serait impossible de donner, même approximativement, le chiffre de cette dette dont, à la vérité, le gouvernement ne prend guère souci. Imitons-le sur ce point, et ne nous occupons que de la dette consolidée, un magnifique total, on vient de le voir, et qui, avant de monter

  1. Le reis est l’unité minime et idéale de la monnaie portugaise ; un conto de reis vaut 6,000 francs de notre monnaie ; 8 reis valent 5 centimes ; 160, 1 franc.