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en traits précis et avec la plus rigoureuse exactitude. M. da Costa-Cabral ne voit-il pas que le ressort est véritablement tendu outre mesure, et qu’en un tel pays c’est la révolution qui recommence et fait de nouvelles ruines, quand le ressort vient à se briser ?

Parmi les ruines que la révolution a déjà faites, il en est une du moins, nous devons le reconnaître, que le cabinet portugais est parvenu à relever. M. da Costa-Cabral a résolu enfin la question religieuse, qui d’un instant à l’autre pouvait compliquer la question politique ; un rapprochement sérieux et définitif s’est opéré entre le Portugal et le saint-siège, qui, en 1834, après la suppression des ordres monastiques par Dom Pedro, fulmina une bulle d’excommunication contre le gouvernement de la jeune reine constitutionnelle. La bulle du pape divisa profondément l’église portugaise et la troubla jusque dans la plus petite paroisse ; M. l’évêque de Vizeu déclara hautement qu’il ne reconnaîtrait d’autres évêques et d’autres prêtres que les prêtres et les évêques nommés par Rome. Le gouvernement eut beau envoyer des administrateurs dans les églises vacantes, et c’était le plus grand nombre : un parti puissant, bientôt formé et discipliné par M. de Vizeu, se prononça contre ces administrateurs, qui presque partout furent accueillis comme des intrus. De son côté, le pape avait, lui aussi, nommé ses commissaires qui, munis d’une bulle spéciale, parcouraient les campagnes, instruisaient et prêchaient en secret, comme après l’édit de Nantes nos ministres calvinistes, ou comme nos prêtres catholiques sous le régime de la terreur. On comprend sans peine quel parti aurait pu tirer, un jour ou l’autre, de ces hostiles dispositions, le fameux archevêque d’Evora, M. Fortunato de Bonaventura, le plus opiniâtre champion de Dom Miguel, réfugié à Rome avec le prétendant. En se rapprochant du saint-siège, M. da Costa-Cabral a donc rendu un véritable service à la cause libérale, et nous hésitons d’autant moins à le constater, que, de tous les clergés européens, celui du Portugal est peut-être celui qui jusqu’à ce jour s’est le moins laissé envahir par les ambitions politiques ; le marquis de Pombal en a fini avec les jésuites, dom Pedro avec les ordres monastiques et les biens de main-morte ; M. de Bonaventura vient de mourir à Rome ; il ne reste plus en Portugal qu’un clergé séculier, peu instruit encore, à la vérité, mais dévoué à sa mission évangélique, fort populaire et méritant de l’être, éprouvant pour les luttes de la vie publique une telle répugnance, que les évêques appelés au sénat par la reine n’y vont siéger qu’à de rares intervalles et à leur corps défendant.

Si l’on examinait de près les articles du nouveau concordat, on pourrait démontrer que M. da Costa-Cabral, dans son empressement à reconnaître les sacrées et légitimes attributions du saint-siège, a fait trop bon marché peut-être de certains droits essentiellement inhérens au pouvoir temporel. Les administrateurs nommés par le gouvernement, le pape les désavoue de la façon la plus formelle ; ce sont les commissaires mêmes du pape qui enfin reçoivent une consécration officielle ; dans un pays si éminemment catholique, cette dernière mesure a naturellement soulevé de très vives inquiétudes au