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l’état de torpeur où la nation entière est tombée, comment ne voit-on pas qu’il sera toujours radicalement impossible de la réduire à ses légitimes et naturelles limites, si l’on ne s’efforce d’y opposer le contre-poids des institutions ? Dans le cas même où un homme de génie serait aujourd’hui à la tête du gouvernement de la reine doña Maria, ce dont, en vérité, on ne s’est pas trop jusqu’à ce moment aperçu, comment viendrait-il à bout de régénérer un pays sans mobiles, sans mœurs politiques, appauvri, épuisé, démoralisé, qui non-seulement ne croit point à son avenir, mais ne songe plus même à se désespérer d’une telle impuissance et d’un si complet abaissement ? L’état du Portugal, étudié avec calme, ne permet pas de se méprendre sur les moyens qu’il conviendrait d’employer pour trancher les complications actuelles. Si des conseils de la cour aux discussions de la presse on cherche à découvrir comment sont traitées à Lisbonne les plus graves questions politiques, on sentira mieux l’influence vivifiante des principes et la force qu’ils pourraient donner à la société portugaise.

Nulle part en Portugal, dans aucune province, dans aucune ville, pas même dans le palais de la reine, on ne trouve cette confiance en l’avenir, qui est la condition première de toute régénération sociale. Doña Maria n’a pu oublier encore les jours d’épreuve où sa royauté fugitive n’était reconnue et saluée à Plymouth que par les proscrits de Madère et les vaincus de Porto. Dans le palais des Necessidades, la jeune reine constitutionnelle, réduite, ou peu s’en faut, à l’étroite portion du continent européen qui tout au plus offrait un point de relâche aux flottes de ses ancêtres, est à vrai dire importunée des immortels souvenirs de la grandeur nationale. Au premier aspect, vous diriez les descendans des rois de l’Afrique et des Indes réfugiés aux Necessidades comme naguère ceux de Louis XIV à Holyrood. Malgré les fautes de son gouvernement, la fille de dom Pedro est demeurée populaire ; quelles que soient les haines et les préventions des partis, il n’est personne qui ne s’empresse de rendre hommage à ses qualités et à ses vertus. A la vérité, ce ne sont point là des qualités de reine ; doña Maria est une épouse accomplie, une mère soucieuse et prévoyante, que son budget particulier préoccupe un peu plus, nous le croyons, que le budget du royaume, l’avenir de ses enfans un peu plus que celui de ses sujets. Ennemie du faste et répugnant à toute sorte de représentation, la reine de Portugal, si sa maison était montée à Londres sur le même pied qu’à Lisbonne, serait éclipsée par la femme d’un lord en crédit. A ceux qui savent combien son caractère est doux et timide, combien depuis dix ans la situation de son pays lui inspire de défiance, sinon même de dégoût, il est démontré jusqu’au dernier degré d’évidence que doña Maria n’a jamais été cette ardente contre-révolutionnaire à qui, en Europe, on s’est complu à faire remonter la responsabilité absolue de toutes les mesures rétrogrades que ses ministres ont pu prendre, de toutes les réactions qu’ils ont pu décréter. Aujourd’hui déjà, on sait en Portugal à qui se doit imputer la tentative de Belem ; on est sûr que si, en janvier 1842, M. da Costa-Cabral a substitué la charte à la constitution