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l’Espagne ; c’est une sorte de conspiration romanesque, une intrigue d’aventuriers et de gentilshommes qui, jetant par les fenêtres du palais des vice-rois le secrétaire Vasconcellos, brise avec son cadavre, sur le pavé de Lisbonne, la domination de Philippe IV. C’est un seul homme, le tout-puissant marquis de Pombal, qui, accueillant les idées encyclopédiques, extirpe les anciens abus, mais prépare les agitations stériles, les réels désastres de l’époque même où nous sommes. Contraints de renoncer aux colossales entreprises qui, de l’étroit drapeau du Portugal, grand tout au plus comme un pennon de comte souverain au moyen-âge, avaient fait une des plus magnifiques bannières chrétiennes, les petits-fils des Nuno et des Albuquerque ne savaient plus que faire de l’activité prodigieuse que leur avaient léguée leurs ancêtres. Pour le Richelieu portugais, qui par le bûcher ou la roue se délivrait des plus vieilles et des plus fières familles, c’était vraiment un embarras incroyable que le génie national. Le marquis de Pombal n’imagina rien de mieux que de l’étouffer. Absorbant en lui toute la puissance, il prit à tâche d’engourdir la vie publique, et, de toute nécessité, il devait arriver à l’éteindre ; les vaisseaux de haut-bord pourrissaient dans les eaux de Porto et de Lisbonne, tandis que l’on rasait le palais des Tavora. Quand un peuple en est réduit à ne pouvoir plus rien, comment n’aboutirait-il point à ne plus rien vouloir ? Et en effet, si l’on considère les vingt petites révolutions, changemens de dynastie ou de charte, qui, dans ce siècle, ont ensanglanté le Portugal, est-on bien sûr qu’au fond le peuple ait jamais rien voulu ? Un esprit excellent, qui sur un terrain si mouvant a pu étudier de près les hommes et les choses, M. Jules de Lasteyrie a écrit la curieuse histoire de ces bizarres vicissitudes[1]. M. de Lasteyrie a prouvé qu’à ces révolutions infructueuses, à ces émeutes avortées, les populations, ne comprenant plus guère comment se pourrait régénérer le pays, demeuraient complètement étrangères ; il a prouvé qu’elles voyaient avec la plus profonde indifférence une poignée d’hommes polies, dans les chambres et au pouvoir même, faire ou défaire à leur gré les constitutions. Et encore, en 1841, M. de Lasteyrie était-il bien en état de prévoir que six mois après tout au plus, à la fin de janvier 1842, elles verraient, sans s’émouvoir davantage, un homme entré au pouvoir par la force d’un principe s’insurger, du soir au lendemain, contre ce principe, imprimer aux affaires un mouvement directement opposé à celui qui l’y avait porté, remanier ou détruire, selon ses caprices, les lois politiques, les lois civiles et financières, et selon ses caprices bouleverser jusqu’aux intérêts matériels ? À l’aspect d’un tel marasme succédant à de si terribles convulsions, faut-il conseiller au Portugal de ne plus se préoccuper de chartes et d’institutions libérales ? Ce serait, après avoir constaté le mal, déclarer que, pour y remédier, il n’y a rien de mieux à faire que d’en conserver la cause. Cette importance anormale, excessive, qu’un très petit nombre de personnes ont prise aux dépens des garanties sociales, et à laquelle se doit imputer

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1841.