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nous croyons que cette attitude est contraire à son caractère et à ses intérêts. Occupons-nous maintenant de la conduite que doivent tenir les conservateurs dissidens. Nous savons bien qu’on s’efforce de les pousser à l’opposition pure et simple ; ils se sont séparés sur un point de la politique étrangère, mais les zelanti du parti ministériel n’admettent pas la moindre hétérodoxie : il faut penser, dire et faire tout ce que pense et fait le cabinet ; sans cela, vous êtes excommunié. Nous croyons cependant que les conservateurs dissidens ne doivent pas prendre au mot les anathèmes de l’église ministérielle. Ils ne doivent ni s’en irriter ni s’en affliger ; qu’ils restent sur le terrain où ils se sont placés ; qu’ils n’aillent pas au-delà ; qu’ils ne reculent pas en-deçà. On est conservateur par soi-même, par ses opinions, par ses principes, et non par le brevet qu’il plaît à quelques personnes de donner ou d’ôter. Ce que les conservateurs dissidens pensaient de la politique intérieure, ils le pensent encore : les principes qu’ils avaient, ils les ont encore ; ils n’ont pas voulu voter l’indemnité Pritchard, mais ils ne sont pour cela ni radicaux ni républicains. Qu’ils gardent donc leurs convictions ; qu’ils soient toujours modérés et indépendans, c’est à cette condition qu’ils finiront par éclairer, dans le parti conservateur, tous ceux qui ne sont pas fanatiques par calcul et par préméditation ; ils dissiperont bientôt les préjugés qu’on a soulevés contre eux, et une fermeté persévérante leur réussira mieux, qu’ils nous en croient, qu’un repentir qu’on exploiterait d’abord, quitte à s’en moquer ensuite.

Pourquoi, en terminant, ne dirions-nous pas ici toute notre pensée ? Nous espérons que le rapprochement qui s’est fait entre les conservateurs dissidens et les diverses fractions de l’opposition ne sera pas sans profit. L’opposition a été, dans toute la discussion de l’adresse, d’une modération qui certes n’a pas nui à l’éloquence de ses orateurs. Cette modération, elle la conservera. Quand le parti ministériel se fait violent mal à propos, il est du devoir de l’opposition de se montrer prudente et modérée. Le parti ministériel veut maintenir le cabinet actuel à tout prix ; il entre en plein dans la politique à outrance. Que l’opposition ait au contraire une politique conciliante ; qu’elle continue à réclamer seulement pour la France une juste réciprocité d’égards dans nos rapports avec l’Angleterre. Ce contraste entre un ministère qui risque témérairement le tout pour le tout, et une opposition qui réclame une satisfaction légitime pour l’honneur national, et qui la réclame sans violences et sans emportemens ; ce contraste frappera tous les esprits ; il aidera peut-être à dessiller beaucoup d’yeux dans la chambre, et si la question doit passer du jugement de la chambre au jugement du pays, il avertira la France de quel côté dans ce moment sont les hommes aventureux et exagérés.



V. de Mars.