Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/585

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme d’état qui vient de prononcer sur l’alliance anglaise des paroles pleines de sagesse, d’un grand prix dans sa bouche : c’est M. Thiers ; on le traite de tribun. M. Billault est une espérance pour le parti conservateur, les journaux ministériels en font un Robespierre. Où le parti ministériel veut-il donc en venir ?

Nous ne voulons rien dissimuler. Toutes les fois qu’une situation ne se dénoue pas par les moyens que donne la pratique régulière de nos institutions, toutes les fois qu’un parti ou un ministère pousse les choses à l’extrême, tout le monde est jeté hors de ses voies naturelles, et, le hasard s’empare du gouvernement. Le ministère, dit-on, voulait se retirer ; c’était un bon instinct, c’était même pour les hommes qui en font la force un bon calcul. Le parti ministériel s’y est opposé, et le ministère a cédé, sans trop de répugnance peut-être, à cette contrainte ; mais cette résolution a tendu aussitôt tous les ressorts du gouvernement, l’agitation a partout commencé, et aujourd’hui, pour avoir voulu éviter à tout prix une crise ministérielle, on est en face d’une crise électorale. Tel est l’état des choses. Cette crise, le ministère espère qu’il en sortira à son honneur. Nous sommes convaincus du contraire.

Nous en sommes même tellement convaincus, que nous sommes loin de nous en réjouir. En effet, c’est un grand mal, disait M. Guizot en 1839, quand les hommes qui soutiennent habituellement le pouvoir, et qui sont le parti de l’ordre et du repos, perdent dans le pays une partie de leur force et de leur ascendant, quand ils s’affaiblissent avec le pouvoir même qu’ils veulent soutenir, et qui les écrase sous ses ruines. Aujourd’hui, pour la première fois depuis quinze ans, le parti conservateur s’attache à la fortune de quelques hommes il s’incorpore imprudemment dans le ministère actuel. Nous craignons qu’en agissant ainsi, il ne se perde sans sauver le ministère.

Voyez en effet comme tout s’enchaîne avec une fatalité effrayante. Peut-être, en demandant au ministère de rester aux affaires, le parti conservateur voulait-il éloigner la dissolution, pensant bien que toutes les dissolutions qui se font en temps de passion lui sont funestes et dangereuses. Ces dissolutions-là ; en effet, profitent toujours aux partis ardens, il ne faut pas se le dissimuler. Eh bien ! voilà que par l’effet même de la résolution prise par le parti ministériel, le ministère est forcé lui-même de faire les élections ; la dissolution devient inévitable, car le ministère sait bien qu’il lui est impossible de reparaître devant la chambre l’année prochaine, si la chambre est encore partagée en deux moitiés égales, comme elle l’est aujourd’hui. Nous n’avons donc pas tort de dire que dès ce moment les choses sont livrées au hasard. Quel que soit l’art avec lequel M. le ministre de l’intérieur puisse se flatter de corriger le hasard, nous ne pensons pas que le parti conservateur ait de grandes chances dans ce jeu du sort, et c’est là ce qui nous afflige.

Nous nous inquiétons d’abord de l’attitude violente et brusque que le parti ministériel a prise ou que le gouvernement a fait prendre, parce que