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puissance et la modération de la France. A la place de l’éloge, M. de Beaumont mettait le blâme. L’amendement a été rejeté par assis et levé, mais après une épreuve douteuse. De grandes difficultés s’élevaient contre, cet amendement, rédigé d’ailleurs par un membre de l’opposition. Le ministère avait eu l’art d’identifier sans cesse les victoires et le traité, le prince de Joinville et la négociation de Tanger. Ce procédé peu constitutionnel avait réussi. Ajoutez l’effet qu’avait pu produire sur quelques esprits la majorité des 28 voix dans la question générale. Néanmoins, malgré ces difficultés, l’opposition a conservé contre l’amendement du Maroc ses 200 voix. Cette cohésion a étonné le ministère, qui s’attendait à une victoire moins contestée. Dès-lors, on a pu présager le sort de la politique ministérielle sur la question de Taïti. Une vive émotion s’est répandue dans la chambre. Les partis se sont préparés à une lutte décisive pour le lendemain.

Les séances des 25 et 27 janvier resteront long-temps dans les souvenirs de la chambre. Il faut avoir vu ces deux journées pour se faire une idée des émotions de la vie parlementaire. Que d’incidens ! que de péripéties ! que d’alternatives de triomphe ou de défaite ! Que de fureurs chez les uns ! que de joie tumultueuse chez les autres ! que d’agitation partout ! Voyez : la séance va commencer. Les ministres sont à leur banc ; tous les yeux se portent sur M. Guizot, dont les traits sont amaigris, mais dont le regard lance toujours ce feu sombre qui est l’ame de son ambition et de son talent. M. Guizot a sur les lèvres un sourire amer. Il parlera aujourd’hui ; il posera la question de cabinet : soyez sûr qu’il flétrira l’intrigue. Mais on vient troubler ses méditations ; c’est l’honorable député du Rhône, M. Fulchiron, l’air calme et résolu, comme un général d’armée qui a pris toutes ses mesures et qui a organisé son plan de bataille. A côté d’eux, l’on remarque M. de Salvandy, le front soucieux ; l’ancien ministre du 15 avril se demande s’il doit accepter ou non le portefeuille de l’instruction publique. Les députés se pressent dans l’hémicycle. M. Sauzet agite en vain sa sonnette ; un groupe bruyant s’est formé vers la gauche. On voit des figures indignées ; un député de l’opposition parle au milieu du groupe, et jette des regards furieux vers le centre et vers le banc des ministres. De quoi s’agit-il ? On parle sans doute de corruption politique ! On parle de ces conversions subites, inattendues, qui ont prouvé dans ces derniers temps la fragilité de certaines consciences et la puissance des argumens extrà-parlementaires. Mais voici M. Léon de Maleville à la tribune. Tous les députés reprennent leurs places. Le banc des interrupteurs ministériels est au complet. L’amendement de M. de Maleville déclare que l’indemnité n’était pas due, et que le ministère, dans l’arrangement conclu sur Taïti, n’a pas tenu un compte suffisant des règles de réciprocité et de justice. M. de Maleville a développé son amendement avec une précision énergique. M. de Peyramont lui succède ; puis vient M. Barrot, dont le discours, accueilli avec transport, excite sur tous les bancs de la chambre une émotion patriotique bien dangereuse pour le cabinet.