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de plusieurs jours a lésé, dit-on, les intérêts matériels de M. Pritchard. Notre gouvernement n’a pas voulu léser les intérêts matériels de M. Pritchard, qui conspirait, qui faisait couler le sang français ! M. Pritchard a fait massacrer nos soldats ; nous ne lui demandons rien, et nous lui payons une indemnité. Voilà ce que M. Guizot a eu le triste courage d’appeler un échange de ménagemens et de concessions réciproques. Ajoutez que M. Pritchard, indemnisé et triomphant, est envoyé près de Taïti, aux îles des Navigateurs, où il prendra un poste supérieur à celui qu’il occupait : voilà comme l’Angleterre le punit de ses violences. M. d’Aubigny est blâmé ; M. Pritchard reçoit de l’avancement, et de plus une indemnité. Voilà ce qu’on appelle de la réciprocité et de la justice !

Au fond, le ministère ne se dissimule pas la faute qu’il a commise. On le voit dans la discussion. Tous ses efforts tendent à dénaturer le caractère de l’indemnité. Suivant M. Duchatel, l’indemnité est une question secondaire. Malheureusement, suivant lord Aberdeen, c’est la manifestation évidente du désaveu ; et pour M. de Jarnac, c’est une découverte admirable qui termine toutes les difficultés. Pour justifier ses concessions, le ministère déclare qu’elles ont été spontanées : malheureusement, nous avons les dépêches de M. de Jarnac. Le jeune diplomate, trop ému peut-être par ses entretiens avec lord Aberdeen, faisait entrevoir à M. Guizot que le blâme était nécessaire, et l’on a blâmé ; que l’indemnité plairait au cabinet anglais, et l’on a concédé l’indemnité. Non, le ministère n’a pas agi spontanément. Admettons, si l’on veut, que la pensée du blâme ait été suggérée par le rapport de M. Bruat ; quant à l’indemnité, c’est une pensée anglaise. Poursuivi dans tous ses retranchemens, le ministère laisse enfin échapper son secret. Il a eu peur. Il a craint une rupture. Quel aveu de la part d’un ministère qui se vante depuis quatre ans d’avoir rétabli les bons rapports entre l’Angleterre et la France ! Heureusement, les craintes du cabinet ont été imaginaires. Ne croyez pas que la froide et sérieuse Angleterre, au milieu des graves intérêts qui l’occupent, ait jamais pu penser qu’elle tirerait l’épée contre la France pour obtenir l’indemnité Pritchard. Du reste, le ministère se trouve placé devant ce dilemme que lui a posé M. Thiers : ou le danger était sérieux, et alors il faut s’en prendre à votre politique ; ou il n’avait rien de réel, et alors vos concessions sont sans excuse.

L’affaire de Taïti est celle qui ruine le cabinet. Elle n’appartient qu’à lui seul. Il en a toute la responsabilité. Depuis le désaveu de M. Dupetit-Thouars jusqu’à l’indemnité Pritchard, tout le regarde. Il invoque la solidarité des chambres, par la raison qu’elles ont voté le premier crédit pour les établissemens de l’Océanie. Vain effort ! Les chambres lui répondent qu’il n’a pas été question alors de juger son entreprise. Le drapeau français était planté sur une terre lointaine, où il paraissait pour la première fois ; les chambres n’ont pas voulu qu’il reculât. C’est la raison décisive qui leur a fait voter le crédit. L’affaire de Taïti et celle du droit de visite sont les fautes les plus