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tout à l’heure sur les raisons qui ont motivé cette indulgence. Nous ne parlons en ce moment que de l’effet moral de la discussion. Le ministère a été entendu ; il a fourni ses preuves ; il s’est fait juger d’après les documens qu’il a choisis. Quel est le résultat pour l’opinion ? La main sur la conscience, qui de nous dira que le traité de Tanger offre des garanties suffisantes, des garanties sérieuses, qu’il est conforme aux droits, à l’intérêt, à la dignité de la France ? Voyez ce qu’en pensent au fond ceux même qui l’ont défendu ! Le traité de Tanger appartient maintenant à l’histoire. Elle le jugera sévèrement.

Passons à la question de Taïti. On se rappelle le jour où les paroles imprudentes de sir Robert Peel ont retenti en France ; nos chambres allaient se séparer, les esprits étaient émus ; quelle a été l’attitude des conservateurs intelligens ? Ils ont dit au ministère : Comptez sur la sagesse et sur le patriotisme du pays. M. Molé a dit à M. Guizot : Appuyez-vous sur le sentiment nationM. La tribune est devenue muette. Le cabinet est resté maître de l’affaire ; comment l’a-t-il conduite ? Deux mois après, nous apprenions le désaveu de M. d’Aubigny et la concession d’une indemnité à M. Pritchard. L’opinion s’est agitée ; comment a-t on cherché à la calmer ? lui a-t-on donné des preuves ? Non ; on lui a dit : Attendez les chambres, toutes les explications seront fournies à la tribune ; vous verrez que le ministère a été le gardien fidèle de nos droits et de notre honneur. Hélas ! les explications sont venues ; la France les a reçues avec tristesse et avec douleur.

Nous n’avons pas besoin de résumer ici la discussion sur Taïti ; qui n’a lu les discours de M. Thiers, de M. Billault, de M. Barrot, de M. Dupin ? Voyez ceux de M. Duchatel et de M. Guizot, qu’ont-ils prouvé ? Y a-t-il eu équité, dignité, réciprocité dans le dénouement de l’affaire Pritchard ? On blâme M. d’Aubigny ; pourquoi ? est-ce pour avoir fait arrêter M. Pritchard ? Non ; M. Pritchard était l’instigateur, le provocateur de la révolte, le chef moral des insurgés ; il voulait détruire notre établissement ; c’est M. Guizot lui-même qui dit tout cela dans ses dépêches. On avait donc le droit de l’arrêter ; c’était un devoir. M. d’Aubigny a fait emprisonner M. Pritchard. Est-ce pour cela qu’il est blâmé ? Non, car s’il avait le droit de le faire arrêter, il avait le droit de le retenir. Ensuite, l’arrestation admise, l’emprisonnement était une chose forcée pour M. d’Aubigny. Si M. d’Aubigny, en l’absence du capitaine Bruat, eût expulsé M. Pritchard au lieu de l’emprisonner, il eût été désavoué. Pourquoi donc est-il blâmé ? Pour avoir employé, dit-on, des procédés regrettables. Or, ces procédés, quels sont-ils ? on ne les précise pas. Les pièces produites ne disent rien là-dessus de positif ; on parle, il est vrai, d’une proclamation, de blockhaus, de séquestration : motifs puérils. Fallait-il donc laisser M. Pritchard en rapport avec les insurgés ? On n’avait pas d’autre prison qu’un blockhaus ; fallait-il faire construire une prison pour lui ? fallait-il, dans un état de guerre ouverte contre des sauvages, étudier minutieusement les termes d’une proclamation ? Mais ce n’est pas tout : en blâmant M. d’Aubigny, on indemnise M. Pritchard ! Pourquoi l’indemnité ? Parce qu’un emprisonnement