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La France, dit-il, ne doit pas conquérir le Maroc. Qui le nie ? La guerre a été bien faite. Qui ne s’empresse de le reconnaître ? Nous avons donné le commandement de la flotte au prince de Joinville. Qui donc vous a désapprouvés sur ce point ? Mais après les victoires est venu le traité. C’est là-dessus qu’on vous interroge. Ce traité offre-t-il des garanties ? est-ce un résultat sérieux pour la France ? Répondez.

M. le ministre des affaires étrangères explique à sa manière les clauses du traité. A l’entendre, l’excommunication est une chose grave ; c’est un arrêt de proscription contre Abd-el-Kader. L’article qui dispose que nous traiterons l’émir avec égards, s’il tombe entre nos mains, est l’acte d’une générosité spontanée. L’expulsion ou l’internat d’Abd-el-Kader sont des mesures suffisamment énergiques. Soit. Passons condamnation sur tous ces points. Que l’excommunication ne soit plus une chose illusoire ; que M. Dupin ait tort de s’indigner contre la clause qui ordonne à la France d’être généreuse envers un ennemi barbare ; que l’internat, que l’expulsion soient des mesures rigoureuses : mais ces mesures sont-elles exécutées ? Abd-el-Kader est-il excommunié, interné, expulsé ? Non. Il parcourt librement le territoire du Maroc. Personne ne songe à l’arrêter. L’empereur négocie, dites-vous ? Combien de temps lui donnerez-vous pour négocier ? Et si la négociation échoue, si le traité n’est pas exécuté, que ferez-vous ? Le ministère répond qu’il reprendra la guerre au printemps ! Ainsi donc, un traité qui n’est pas exécuté et la perspective d’une guerre au printemps, voilà le résultat diplomatique des victoires d’Isly et de Mogador. Belle conclusion !

On a demandé au ministère pourquoi il n’avait pas exigé une indemnité pour les frais de la guerre. Parce que, dit-il, on ne l’aurait pas payée. Il aurait fallu l’aller chercher à Fez. C’était une nouvelle guerre à entreprendre. Mais si vous aviez eu un gage entre les mains, non-seulement vous auriez fait payer l’indemnité, mais de plus vous auriez fait exécuter les autres clauses du traité. A cela, le ministère répond que l’occupation d’une ville n’aurait pas été une garantie ; que d’ailleurs mettre le pied dans le Maroc, c’était s’exposer à le conquérir. Le discours de M. le duc de Broglie repose en partie sur cet argument. On n’a pas voulu prendre une ville, un port, à Abderrahman, par crainte de se voir entraîné dans une guerre de conquête ! Singulier raisonnement d’une politique à outrance ! Vous dites que l’occupation d’un point entraîne la conquête ! Niais ne sommes-nous pas déjà les voisins du Maroc ? Si, pour garantir l’exécution du traité de Tanger, nous avions pris un port, une ville, que serait-il arrivé ? Nous aurions avancé notre frontière, voilà tout ; et nous ne serions pas plus forcés alors qu’aujourd’hui de conquérir tout le territoire marocain. La politique d’abnégation est une belle chose ; cependant, il ne faut pas en abuser. Il ne faut pas pousser le désintéressement jusqu’à l’oubli de sa dignité et de son droit. De ce que la France ne veut pas se lancer dans les guerres de conquêtes, il ne faut pas la désarmer vis-à-vis de l’Europe par des déclarations imprudentes. Il ne faut pas lui