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Elle se moquait de nous, comme nous avions raillé, sous Louis XIV, nos imitateurs exagérés. La France était un peu dans la situation de Mme Du Deffand vis-à-vis de Walpole ; elle adorait un ingrat. Walpole et l’Angleterre avaient honte de se laisser prendre à la bonne grace et aux caresses de l’antique monarchie, devenue frivole, et toujours aimable. Quant à nous, rien ne décourageait notre engouement ; nous imprimions à Paris un grand journal anglais, que personne ne comprenait, et que tout le monde faisait semblant de lire ; quiconque venait de Londres, était sûr de trouver son piédestal à Paris.

L’évêque Atterbury, jacobite exilé dont l’éloquence égalait celle de Chatham, mais dont le jugement n’égalait pas l’éloquence, vint aussi mourir en France, où, selon Selwyn, il voyait beaucoup les parlementaires. Après lui paraît Wilkes, cette parodie de Bolingbroke, qui se fit lord-maire quand il fut las de tourmenter la cour. C’était un satyre, horriblement laid, et en revanche fort libertin, qui disait sans cesse que, pour atteindre le cœur des femmes et l’emporter près d’elles sur le plus beau des hommes, il ne demandait qu’un jour d’avance. Hardi, violent, hâbleur, vénal, mauvais écrivain, grand charlatan, il représente comme le sommet éclatant du vice anglais à cette époque, du vice politique et du vice moral. Il fit un livre indécent, qui fut brûlé par le bourreau. Quel est ce vieux manoir éclairé de mille bougies, et que l’on voit étinceler sous l’ombre épaisse des chênes anglais ? Pourquoi ces longs cris de joie et d’ivresse, interrompus par les pédales de l’orgue et par les chants de l’église catholique ? Si vous payez le concierge qui est ivre (et tout le monde est ivre), il vous introduira dans l’intérieur du château. C’est le domaine de lord Dashwood, et c’est lui-même que vous voyez là-bas, au pied de l’autel, vêtu en prêtre qui officie, et parodiant indignement le sacrifice de la messe. Son premier assistant est Wilkes, l’autre est le poète Savage, l’ami de Samuel Johnson et le fils illégitime de la comtesse de Macclesfield. Voilà, vous vous en apercevez, une société énergique, et qui va jusqu’au bout des choses. Il n’y a pas d’obscénités, d’horreurs, d’infamies, que ce club des franciscains (l’association se nommait ainsi et portait le costume des moines) ne se permît sous ces voûtes féodales, qui devaient s’ébranler et frémir d’horreur. Là se réunissaient, sous la robe blanche et dans la vieille chapelle, à quelque fraction politique qu’ils appartinssent, les freethinkers, les « libertins, » comme ils se nommaient, et les mêmes rites immondes qui se répétaient tous les mois offraient le calque exact et fidèle des cérémonies du vieux culte. Aucune femme n’y était