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Néchos, en conséquence que celle-ci put être suggérée par l’exemple ou le conseil des Grecs.

La deuxième circonstance à remarquer est la tendance nouvelle de Nechos vers les expéditions maritimes dans la Méditerranée et dans la mer Rouge. Il fit construire des flottes, qui allèrent attaquer les côtes de Syrie et de la Palestine[1], tandis qu’auparavant les rois d’Égypte n’attaquaient ces contrées que par terre. Les vaisseaux qu’il fit construire étaient des trirèmes, selon l’expression formelle d’Hérodote. Ce n’est certes pas sans raison qu’il emploie ce mot, au lieu du terme générique de vaisseaux ; il veut nous apprendre que ces navires de guerre n’étaient pas du genre de ceux que les Égyptiens avaient construits jusqu’alors, et qui se montrent sur leurs monumens comme de simples barques pontées à un seul rang de rameurs, qui n’ont jamais pu, quoi qu’on en ait dit, transporter des armées jusque dans l’Inde. C’étaient de ces vaisseaux à trois rangs de rames inventés par les Corinthiens[2] un siècle seulement avant le règne de Nechos, et qui, à l’époque de ce prince, composaient, en grande partie, les flottes militaires des Grecs. Ici, l’imitation grecque ou phénicienne est évidente.

La troisième circonstance où l’on peut encore reconnaître une influence étrangère est l’idée de faire la circumnavigation de l’Afrique. Jamais pareille idée n’était entrée dans la tête d’un Égyptien. Nechos, éprouvant ce sentiment de curiosité qui semble avoir été, dans l’antiquité, une qualité propre à la race hellénique, voulut savoir la figure de la Libye ; il chargea des Phéniciens de, faire le tour de ce continent, en partant du golfe Arabique et en revenant par le détroit des Colonnes[3]. Sans rappeler ici les longues controverses sur la possibilité de ce périple si dangereux pour les vaisseaux du temps, et sans décider si la circumnavigation a été entièrement exécutée, comme le croit Hérodote[4], on peut affirmer du moins qu’elle fut réellement entreprise. Or c’est l’idée qu’il importe de signaler, ainsi que le choix du peuple navigateur qui fut chargé de l’opération. Nechos ne pouvait la confier à de plus habiles, et ceci montre que ce prince savait employer les peuples étrangers selon les qualités qui leur étaient propres, car les Grecs ne furent pas la seule race

  1. Herod., II, 159.
  2. Thucyd., I, 13.
  3. Herod., IV, 42.
  4. Voyez la critique approfondie et judicieuse de Gossellin : Géographie systém. des Grecs, t. I, p. 204-217.