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on n’est ni un savant, ni un praticien, et qui ne sont bonnes qu’à augmenter chaque année la recrue des désœuvrés incapables. « Toutes les fois, disait M. Saint-Marc, que la société, par le vice de ses écoles, fait un demi-savant, elle fait un mécontent prétentieux qu’il lui faudra plus tard satisfaire ou qui deviendra l’ennemi mortel de son repos. » Je doute que l’utile ouvrage de M. Saint-Marc Girardin sur l’Instruction intermédiaire contienne la solution des difficiles problèmes qu’il soulève, mais il est plein de vues et de faits qui la peuvent hâter : c’est déjà quelque chose.

Il en est de l’esprit comme de la figure : avec l’âge les contours se marquent de saillies, la physionomie se caractérise, le trait distinctif apparaît nettement. M. Saint-Marc Girardin est un critique moraliste ; telle est la tendance qui, chez lui, a fini par prédominer sur les autres. C’est donc par le côté moral et pratique qu’il aime de plus en plus à aborder la littérature : derrière l’homme de talent, derrière l’homme qui écrit, il se plaît à chercher l’homme de la société, l’homme de la famille. Pour lui, c’est un plaisir de montrer que les qualités de l’esprit ne se doivent pas séparer de celles du cœur, et que le mérite ne dispense pas du devoir. En un mot, il ramène volontiers la science littéraire à la science de la vie ; il abonde en déductions immédiatement applicables par chacun dans la pratique. Certes, de quelque façon qu’on la juge, cette manière est originale. M. Saint-Marc n’est pas un historien érudit des lettres, comme l’ont été M. Patin pour l’antiquité, M. Ampère pour le moyen-âge ; il ne se plaît pas au tableau, comme le tente M. Villemain, au portrait, comme s’y applique M. Sainte-Beuve ; ce n’est pas plus un professeur de grande esthétique comme Lessing qu’un professeur de goût comme La Harpe. Tous, dans leur procédé divers, font de la littérature leur point de départ : M. Girardin, au contraire, part de la morale et du sens commun pour arriver à la littérature. C’est un centre où il revient toujours et qui le conduit à tout. Le cadre moral lui sert à ramener à l’unité la variété des sujets et des aperçus : il en use comme d’une méthode.

Mais, dira quelqu’un, la morale confine au sermon, et M. Saint-Marc pourrait bien risquer maintes fois de n’intéresser que tout juste ceux qui l’écoutent. Pure erreur ! le critique sait parfaitement qu’en morale un peu de médisance est permis, et la médisance n’ennuie jamais. C’est donc bien moins une morale dogmatique qu’une morale agressive et moqueuse : elle fustige impitoyablement toutes les vanités et toutes les faiblesses, tandis que le bon sens, lui servant d’auxiliaire,