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liberté le désintéressement, l’humanité, l’abstinence, et surtout l’intelligence si difficile des conditions auxquelles la société se maintient, c’est-à-dire l’ordre et le respect de la propriété ; ce peuple dont il faudrait baiser les haillons, puisqu’il les a gardés au milieu de toutes les tentatives de la révolte et de la guerre.

On reconnaît d’avance le vers de la Curée :

C’était sous des haillons que battaient les cœurs d’hommes !


J’ai eu d’autant moins de scrupule à découper ces passages, à extraire quelques lambeaux de ces feuilles perdues, que M. Saint-Marc est avant tout un fils de la presse, j’ajoute vite un fils reconnaissant ; dans son discours de réception, il a eu le bon goût de le dire lui-même. On aura beau faire maintenant et gémir, les journaux sont devenus une des formes essentielles de la pensée : l’Académie, en sanctionnant la presse, s’est montrée intelligente. Il y a tel article qui vaut mieux que tel gros livre : c’est la différence de la petite monnaie d’or au gros sou.

J’avais une intention tout à l’heure en citant l’éloge senti que M. Girardin avait fait du peuple de 1830 : on était dans la lune de miel de la liberté. Cela m’amène à indiquer un dernier article politique moins gaiement célèbre dans l’histoire des journaux que celui des Solliciteurs, mais qui, grace aux frémissantes passions d’alors, eut bien plus de retentissement. A la fin de 1831, M. Saint-Marc revenait d’Italie : arrivé à Lyon, il y fut pendant deux jours retenu par l’émeute et poursuivi des plus vives inquiétudes pour sa femme qui l’accompagnait. Échappé à ce sinistre spectacle et revenu à Paris, M. Girardin, cédant à l’indignation mal comprimée de ses souvenirs, écrivit les pages si souvent citées sous le nom d’article sur les barbares. C’est à tort que ce morceau fut attribué à d’autres plumes célèbres ; il est bien de M. Saint-Marc. On y lisait : « Les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie ; ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières[1]. » On devine quels longs et violens orages souleva, dans les journaux, cet acerbe manifeste contre les prolétaires. M. Saint-Marc Girardin ne s’est guère laissé emporter que cette fois à cet extrême langage :

  1. Dans le Globe saint-simonien du lendemain (9 décembre 1831) M. Michel Chevalier déclarait cet article “l’un des plus dignes d’attention que la presse eût enfantés ; ” il y voyait “un mélange fort curieux de traits de perspicacité et des plus barbares préjugés de caste.” Les esprits les plus distingués étaient encore sous l’empire des violences de parti.