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chambres, la Vendée assiégeait les bureaux. C’était l’insurrection des Gérontes ; l’ambition alors avait des cheveux blancs, et l’intrigue portait de la poudre. Aujourd’hui l’insurrection est plus jeune. Géronte est hors de cause, il ne sollicite plus. Valère le remplace dans les antichambres, et, à le voir, il n’a pas dégénéré de son devancier. Le costume et le langage diffèrent, mais c’est la même chose au fond. On fredonne la Marseillaise au lieu de Vive Henri IV ou Charmante Gabrielle ! On contait les persécutions souffertes sous Marat et Robespierre ; on conte ses disgraces sous MM. de Corbière et Peyronnet. Du reste, même genre de forfanterie, même manière de se faire valoir. Les victimes abondent, il y en a de toutes les époques. Les héros aussi pullulent ; les uns se sont battus en personne, lisez le journal où leur nom est cité ; mais ne lisez pas l’erratum du lendemain, car les belles actions rapportant quelque chose, tout le monde veut les avoir faites, et il y a des exploits qui ont cinq ou six maîtres : il faudra bientôt que les tribunaux jugent cette nouvelle question de propriété. Ceux qui ne se sont pas battus ont aussi leurs titres ; l’un a un parent mort à l’attaque du Louvre, l’autre est cousin d’un élève de l’École polytechnique. L’intimé aujourd’hui ne dirait plus :

Monsieur, je suis bâtard de votre apothicaire ;


il serait bâtard d’un des vainqueurs de la Bastille, et oncle d’un des braves du pont de la Grève, et, à ce titre, l’intimé demanderait une place de procureur-général. »


Plus loin, C’était un portrait, un souvenir de La Bruyère :

« Hippias est administrateur-général. — Comment cela, bon Dieu ? — Hippias, le 24 juillet, s’est foulé le bras en tombant de cheval : il est resté six jours dans sa chambre, le septième il est sorti le bras en écharpe, et le huitième il a été nommé administrateur-général. Voilà l’histoire d’Hippias. Ajoutons qu’il a renvoyé le valet qui l’accompagnait le jour de sa chute. — Mais Hippias n’entend rien à l’administration ; c’est un homme aimable. Vous savez… - Tête sans cervelle ! je vous dis qu’Hippias est sorti le bras en écharpe. »


C’est ainsi que, sous un air de plaisanterie, le publiciste fustigeait courageusement l’esprit d’intrigue et de cupidité c’est ainsi qu’il frappait sans pitié sur ces délateurs pour lesquels personne n’était bon citoyen s’il avait une place. L’odieux venait après le ridicule. M. Saint-Marc, du reste, abandonnait le ton railleur pour parler des acteurs de la révolution :


« J’aurais voulu mettre en parallèle avec l’avidité des solliciteurs l’admirable désintéressement du peuple ; je n’en ai point le courage…Les gens en veste font trop de honte aux hommes en habit… J’aime ce peuple qui a montré que son éducation était faite, qu’il avait appris à l’école de la