Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le parti de l’écrivain, et reconnu que la presse comptait un maître de plus.

M. Saint-Marc nous parlait l’autre jour à l’Académie de ces courtes rencontres que les passions politiques font quelquefois de la justice on était dans un de ces momens-là, dans un de ces momens où, comme il le disait encore lui-même, le journaliste doit tenir à la puissance de sa pensée plus qu’à la célébrité de son nom. Aussi M. Girardin n’hésita-t-il point à donner dès-lors le pas à ces luttes anonymes de la politique quotidienne sur les succès brillans de la publicité littéraire. À force de talent, d’ailleurs, quelques rares noms percent les mystères du bureau de rédaction et se font jour jusqu’au public : il y a des styles dont le relief trahit l’auteur, et, le voile se déchirant à certaines heures, la signature apparaît. M. Carrel, M. Saint-Marc Girardin, M. de Sacy, furent, de ceux-là. Aux Débats d’avant 1830, M. Girardin et M. de Sacy représentaient la jeune génération, celle qui le lendemain de juillet devait tenir le dé dans le journal ; c’étaient des héritiers présomptifs. Déjà autorisé et de plus en plus en crédit, quelques mois après son entrée aux Débats, M. Saint-Marc y avait introduit M. de Sacy, son ami de longue date. M. de Sacy n’avait guère écrit jusque-là ; il sortait du barreau où son improvisation un peu sobre, mais ferme, et son argumentation aussi solide qu’accentuée lui promettaient une carrière digne du nom illustre qu’il porte. Ces fortes qualités de sa parole se reproduisirent sous sa plume, avec d’autres mérites excellens qui ont fait de lui un publiciste consommé. M. de Sacy apportait dans la discussion des journaux ce qu’on n’y apporte guère, les saines traditions du XVIIe siècle et de Port-Royal, une dialectique, vigoureuse et nette, une diction en tout fidèle à la bonne langue. La trace des Provinciales n’est nulle part mieux marquée peut-être que dans les bonnes pages de M. de Sacy : l’ironie n’y nuit pas à l’éloquence. La polémique politique, dés qu’il l’eut abordée, s’empara si bien de M. de Sacy, que, l’ambition même ne l’en fit jamais sortir.

Le Journal des Débats alors avait besoin de quelques talens nouveaux pour suffire aux dangers croissans de la lutte. Il fallait aux folles tentatives du pouvoir opposer l’indignation, et l’indignation est surgi tout une vertu de la jeunesse. M. de Chateaubriand venait encore au bureau du journal, mais il n’y écrivait plus ; l’éclat de son nom, il est vrai, le récent souvenir de sa polémique, étaient bien faits pour- exciter les jeunes émules qui, venaient l’entendre. De son côté, M. Fiévée, vieilli, était alors plus utile par son expérience du jeu politique et