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et les Bourbons, le ministère de cinq ans et la monarchie de quatorze siècles ? À cette hypocrite stratégie, M. Girardin opposait l’invraisemblance ; il demandait si c’était le lendemain de la victoire que le parti libéral serait allé gaminer séditieusement sur les places publiques. Se souvenant de je ne sais plus quel passage mordant de Chamfort ou des Actes des Apôtres, il l’imitait habilement et l’appliquait avec verve à la circonstance


« Tartufe s’était mortifié dimanche soir. Lundi et mardi il se vengea. La canaille se mit à courir Paris, en criant vive l’empereur ! cri défunt qui ne ressuscite personne, cri exhumé des cartons de la police, car son ignorance des choses d’aujourd’hui trahit son origine. Le peuple accourt pour voir, la bourgeoisie s’assemble pour s’indigner de pareilles provocations. Alors gendarmerie à cheval et à pied, troupes de ligne, s’élancent sur le tout, sabrant, fusillant, renversant…

O qualis facies et quanta cligna tabella !


Qu’il faisait beau voir nos soldats prendre la rue aux Ours, s’emparer de la rue Greneta, marcher au pas de charge dans la rue Saint-Denis, tourner la rue Mauconseil, s’élancer sur le passage du Grand-Cerf, tirer sur les fenêtres gabionnées de pots de fleurs, tout cela à la lueur des réverbères, à défaut du soleil d’Austerlitz ! Voyez cette cavalerie victorieuse qui court à plein galop ! Gare ! laissez passer la victoire ! Gare aussi pour ces civières chargées de blessés qu’on porte à l’Hôtel-Dieu ! Ce sont aussi des trophées, et le bulletin de la grande bataille est affiché à la Morgue ! »

Plus loin, avec non moins d’entrain ; il disait encore :

« Que les électeurs y songent : bien ! S’ils nomment les élus du ministère, qu’arrivera-t-il ? Une obscurité commode couvrira les évènemens de la semaine. Pas d’éclaircissemens, pas d’enquêtes ni sur les causes ni sur les moyens. Puis, comme bientôt la censure sera établie, la littérature de la police proclamera hardiment que c’était une sédition électorale, que l’opposition voulait renverser la monarchie, mais que, le bon Dieu aidant, les factieux ont été vaincus. Comme cela sera vrai et noble ! Comme il sera honorable pour la France d’avoir voulu renverser la monarchie en se barricadant rue aux Ours ! Comme il sera beau que la gendarmerie ait sauvé le trône et l’autel en prenant d’assaut la rue Coquillière ! »


On n’était pas habitué alors à ce libre ton, à ces tournures à la fois enjouées et sérieuses. L’article touchait la plaie à nu ; le, ministère indigné délibéra s’il ferait saisir le journal, et n’osa point. Cela fit éclat ; l’opinion soulevée prit le parti Au journaliste ; tout le monde avait pris