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communs : les lieux communs ne plaisent à ce rare esprit qu’en ce qu’ils cachent de vieilles vérités qu’on rajeunit par une forme mordante, par toutes les ressources d’une plume consommée. Et puis, au milieu de nos caprices usés, au milieu de notre originalité banale, il se trouvait précisément que, pour notre goût désaccoutumé et blasé, le vrai avait tout le charme du faux, le bon sens toute la séduction de l’extraordinaire, la sagesse tout l’air de la fantaisie. De là vient que M. Saint-Marc Girardin eut les avantages du sens commun qu’il affichait, et plut par l’air de paradoxe qu’il affectait de ne pas avoir. Ce n’est point que chez lui le critique quelquefois n’ait ses promptitudes et ses audaces ; mais sa témérité, si vive qu’elle soit, ne l’égare jamais. Il peut se risquer sur la pente, se pencher exprès sur l’abîme ; n’ayez pas peur, ce n’est qu’un jeu, un jeu charmant et habile. Il n’est même pas besoin de garde-fous : son tact est là pour l’avertir. S’il se permet quelque paradoxe réel, ce n’est qu’en passant, ce n’est qu’avec toutes sortes de précautions spécieuses : encore l’épigramme sert-elle d’enveloppe aux yeux du lecteur. Le fil ne passe qu’avec la piqûre. On peut citer, comme exemple en ce genre, un fort malicieux et pétillant article de la fin de 1828 sur le premier ouvrage de M. Émile Deschamps, les Etudes étrangères. On était alors très préoccupé de la rime et du rhythme, on croisait la lance sur les questions de versification : M. Girardin trouva piquant de rattacher sur ce point les tentatives romantiques à l’école précisément qu’on venait de renverser ; il prétendit, à l’aide d’exemples subtils et finement choisis, qu’en cherchant à couper et à varier l’alexandrin, les novateurs continuaient tout bonnement les recettes de l’abbé Delille[1]. En un mot, M. Saint-Marc Girardin disait au romantisme qu’il était hérétique d’intention beaucoup plus que d’effet, et il le traitait comme un enfant qui bat sa nourrice. Il est vrai que c’était un enfant sublime, comme le disait Chateaubriand de M. Victor Hugo ; mais M. Hugo est-il résolu à n’être jamais que cela ? Nous le craindrions presque, à en juger par ses discours académiques, car c’est toujours cette manière splendide et puérile que caractérisait si bien M. Planche,

  1. Récemment encore, à propos des Glanes de Mlle Bertin, M. Saint-Marc, reprenant sa railleuse insinuation de 1828, montrait que l’école romantique a abusé de la description, tout comme l’école de l’empire ; puis il ajoutait : « On tient toujours de ses parens, voulût-on même les oublier et les démentir. » Mais, en ne parlant plus, cette fois, que du seul penchant descriptif, et en abandonnant le reste du rapprochement, M. Saint-Marc a jugé lui-même son ancien et spirituel paradoxe.