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extase de poète, toute tentative douteuse, tout élan inutile, allaient mal à cet esprit avisé, net, positif, ennemi du vague et de la rêverie.

Aussi l’écolier est à peine échappé des bancs qu’on le trouve rédigeant de la critique : il restait fidèle à son penchant. M. Saint-Marc avait fait des études excellentes, il avait de l’instruction et des lettres. L’écueil de ceux qui commencent dans ces conditions, c’est de se perdre aux dilettantismes d’érudit, de se noyer dans les notes et dans les estimables minuties de l’exactitude : M. Saint-Marc, qui, avec son expérience précoce, n’a jamais aimé que les choses nécessaires, se gara de cet autre abus ; il ne tomba pas plus dans le pédantisme, comme font les débutans instruits, que dans le facile dévergondage de l’imagination, comme font volontiers les ignorans. L’intempérance en rien ne lui convenait. Dès 1821, je le trouve taillant et effilant sa plume dans un tout petit journal, heureusement oublié, l’Écho du soir. Il y rendait compte de l’Opéra dans le style le plus délibéré, tandis que son futur collaborateur et ami des Débats, le grave M. de Sacy, y rédigeait des Esquisses judiciaires tout aussi peu puritaines. Le style des deux publicistes faisait là ses goguettes de jeunesse et s’émancipait, mais il ne tarda pas à se ranger. Dès l’année suivante, M. Saint-Marc rédigea, pour l’Académie française, un Éloge de Lesage[1], qui obtint l’accessit : c’était revenir vite à la littérature sérieuse. Dans ce concours, M. Saint-Marc avait suivi les conseils de M. Villemain, qui prenait de plus en plus intérêt à lui et qui mit même, à ce propos, une note tout-à-fait flatteuse dans le Journal des Débats. L’opuscule n’avait pas trop la tournure académique : c’est la meilleure louange que j’en puisse faire. La manière étincelante, les tours débarrassés, la verve franche que nous rencontrerons bientôt sous cette plume alerte et facile, ne se laissent guère, il est vrai, soupçonner ici ; mais sachons gré au jeune lauréat d’avoir, dès sa première brochure, rejeté le bagage de l’emphase officielle et de s’être aventuré tout seul, avec son propre style. On aime, en étudiant un écrivain, à chercher, au sein des tentatives de sa jeunesse, les germes de ce qui se développera plus tard en lui, à démêler les élémens qui finiront par l’emporter. Ce qui frappe surtout dans l’Éloge de Lesage, c’est qu’en plus d’un endroit déjà la vue morale s’entremêle à l’appréciation littéraire. Rien de mieux saisi et de plus finement exprimé, par exemple, que la différence du caractère de Figaro, dont l’intrigue audacieuse ne permet pas de mettre en doute le succès final, avec celui de Gil Blas, plus simple, plus rapproché

  1. Didot, 1842, in-8o de 30 pages.