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sanglantes et sous les calmes auspices littéraires. Il se rencontre des années plus heureuses et plus fécondes d’où se détachent des groupes favorisés. On sait, par exemple, cette génération éclatante de la première École normale, d’où sortirent en même temps M. Cousin, M. Jouffroy, M. Patin, M. Dubois, bien d’autres encore. M. Saint-Marc eut aussi pour condisciples plusieurs hommes distingués qu’il devait plus tard rencontrer à la chambre ou dans les affaires, M. Chegaray, M. Lanjuinais, M. de Langsdorf ; au concours général, le collége Bourbon lui envoyait un concurrent tout-à-fait digne de lui et qui devait devenir un jour une plume excellente, M. Vitet. Dans la vie des collégiens, la rhétorique est l’année des grandes victoires : le jeune Saint-Marc battit la plupart de ses rivaux, et, comme pour s’habituer tout de suite au succès qui en tout devait lui être facile, il revint de la Sorbonne au collége Henri IV avec ce prix de discours qu’avait naguère manqué M. Villemain, et avec ce prix de vers latins que M. Sainte-Beuve allait avoir l’année d’après.

Voilà des souvenirs un peu scholaires ; mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un professeur. Cette composition en vers latins ne fut pas d’ailleurs sans influence sur la destinée littéraire de M. Saint-Marc ; elle lui fit connaître M. Villemain, et voici comment. En 1816, comme il n’y avait pas eu de concours général l’année précédente à cause des évènemens politiques, on décida que les élèves exclus par leur âge auraient cette fois le bénéfice d’une année. Le jeune Saint-Marc était dans ce cas ; mais, quand on vint à l’application, sa copie fut éliminée. Il se plaignit, et eut recours à un membre de sa famille, M. Hochet, le secrétaire du conseil d’état. M. Hochet a été mêlé avec distinction à la presse de l’empire, il aime les lettres : les vers du rhétoricien lui plurent, et il les montra à M. Villemain, qui en fut enchanté et prit seulement plaisir à noter avec malice je ne sais quelle faute de quantité échappée à l’étourderie de l’élève. Exclu du concours, le lauréat manqué courut chez son nouveau protecteur, et, ne le trouvant point, lui laissa un mot où l’affaire était expliquée. M. Villemain fut surpris de ce billet, net, vif, courant, et la prochaine fois qu’il vit son jeune homme : « Il faut, lui dit-il, que vous ayez lu et relu la correspondance de Voltaire. » M. Villemain ne se trompait pas : c’était l’ouvrage de prédilection du jeune écolier. Au collége, on raffole de Werther et de l’Héloïse ; M. Saint-Marc aimait déjà Voltaire. On le voit, le naturel chez lui l’emportait d’emblée, et sa première passion étant le bon sens, il se trouva de dix ans en avance sur ceux de son âge, sur ceux qui débutent par les illusions de l’enthousiasme. M. Villemain