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chez les critiques. Voyant, l’autre jour, M. Saint-Marc Girardin debout devant le pupitre du récipiendaire et M. Victor Hugo assis dans le fauteuil du directeur, je me demandais si le hasard, en chargeant comme à plaisir le poète de répondre au professeur qui s’était constitué son libre juge, avait aussi voulu faire une malice, et ménager aux confrères de l’auteur des Burgraves quelque piquante revanche contre la critique. M. Hugo s’est bien vite chargé de nous détromper et de convaincre l’auditoire qu’il ne parlait que pour son compte. A moins qu’Olympio pourtant ne s’imagine être à lui seul tout l’Olympe ! Mais Jupiter n’avait pas cette prétention.

Nous ne sommes pas pour rien dans un troisième siècle littéraire, et il faut bien qu’on se résigne à voir les écrivains du genre critique prendre quelquefois le pas sur les écrivains créateurs, comme les appelle fastueusement M. de Balzac dans ses préfaces qu’on ne lit plus, en tête de romans qu’on ne lit guère. Ah ! sans doute les créations, comme vous dites dans votre emphatique langage, font avant tout l’honneur des lettres, l’honneur même de la poésie de notre temps. Aussi l’Académie, qui avait bien des raisons momentanées de bouder cette jeune poésie, a-t-elle fini par lui rendre hommage : après s’être un peu fait prier, elle a mis, comme le public, son apostille aux Harmonies, aux Feuilles d’Automne, aux Consolations ; à la prochaine rencontre, elle est disposée, dit-on, à la mettre sur Éloa. Il y a déjà quinze ans qu’elle aurait, tout d’une voix, adopté l’illustre auteur des Chansons, si M. de Béranger n’avait montré à ce propos autant et plus de coquetterie que l’Académie elle-même. Mais, à l’heure qu’il est, les poètes semblent faire défaut chez ceux qui pourront arriver un jour, l’âge manque ; chez ceux qui ont l’âge, c’est autre chose, c’est le présent qui fait par trop contraste avec le passé. Ainsi, pour citer au hasard quelques exemples, le petit poème si virginal de Marie, ainsi les vers fortement colorés du Pianto avaient suscité des espérances que l’avenir n’a point tenues. Maintenant, M. Brizeux a tout-à-fait besoin de ressaisir, par une œuvre nouvelle, cette première veine si fraîche qui s’est amaigrie et comme séchée dans ses Ternaires ; d’un autre côté, après le vide affligeant des Rimes héroïques, on se prend à douter que l’art désormais ait quelque chose à attendre de M. Auguste Barbier. Il ne faut pourtant pas désespérer de l’avenir ; j’en serais triste surtout pour cet autre poète bien autrement vif et original, qui s’élançait dans la gloire comme un chasseur du Tyrol :

Jetant au vent son cœur, sa flèche et sa chanson,