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perdue. Les lettrés se mirent à la tête de ce mouvement ; tout en secondant le prince dans ses utiles projets, ils le poussèrent à réagir contre le bouddhisme, qui avait envahi toutes les classes de la société, et contre les Tao-sse, dont ce monarque lui-même favorisait les pratiques. Voilà donc les trois sectes aux prises à l’aurore de cette ère nouvelle ! Un des savans les plus zélés pour l’ancien état de choses, Fou-y, faisant près de l’empereur l’office d’accusateur public, formula dans une requête fameuse tous ses griefs contre les deux philosophies hétérodoxes. Aux bouddhistes, il reproche « de n’enseigner ni la fidélité envers le prince, ni le respect filial, de vivre dans l’oisiveté, de porter un habit particulier, de chercher à s’exempter des charges publiques et de se délivrer de tout souci, de faire courir les simples après une félicité chimérique, de leur inspirer du mépris pour les lois et pour les sages institutions des anciens. » Plus loin, Fou-y va jusqu’à faire un crime aux bouddhistes de s’en remettre entièrement à leur dieu du soin de gouverner les hommes. Ici, le lettré s’emporte et va au-delà des préceptes du maître ; on dirait qu’il fait de l’empereur un dieu agissant, une providence, un organisateur suprême, seul juge des mérites intimes et des vertus cachées. En s’adressant aux Tao-sse, il s’écrie : « La vie a eu et aura toujours un terme pour les hommes ; les récompenses, les châtimens, les dignités, dépendent de la volonté du prince dans un état monarchique ; chacun par sa conduite s’élève ou s’abaisse, amasse des richesses ou reste dans la pauvreté[1]. » On le voit, en glorifiant ainsi le souverain dont ils étaient les ministres, les agens, les lettrés hautains s’oubliaient jusqu’à dire : « L’état, c’est nous ! » Cependant cette violente sortie ne produisit pas tout l’effet qu’en attendait Fou-y ; l’empereur se contenta de réformer les abus ; il limita et restreignit le nombre des bonzes et des docteurs Tao-sse, espérant équilibrer ainsi les trois sectes qui se partageaient l’empire.

C’était là un grand problème à résoudre. Ces trois religions incomplètes, chacune à sa façon, ne s’excluaient pas l’une l’autre, il est vrai. On pouvait, jusqu’à un certain point, se rallier par l’esprit aux préceptes rationnels de Confucius, demander, comme Faust dans un moment de passion, aux puissances surhumaines les secrets précieux que vendaient les Tao-sse, puis abriter enfin sous l’édifice mystérieux des dogmes bouddhiques son ame apaisée ; mais les lettrés, fiers de la haute antiquité de leur philosophie, absolus dans leurs

  1. Histoire générale de la Chine, par le père Mailla, tom. VI, p. 29.