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à calculer la force leur semblèrent brisés. Ils comprirent que leurs voix ne seraient plus écoutées au milieu du bruit de ces bouleversemens, et crièrent que la Chine allait périr parce qu’elle se jetait trop violemment dans des voies nouvelles. S’ils se trompaient en ne voyant pas au-delà du siècle présent, au moins résistèrent-ils avec une grandeur qui les excuse.

Après avoir nivelé les royaumes feudataires et les avoir transformés en provinces, Tsin-chi-hoang-ty, le premier des empereurs souverains, réorganisait la Chine à sa façon ; enivré de sa gloire, occupé de réformes radicales, le jeune conquérant s’irritait de l’opposition systématique que les lettrés mettaient à ses desseins. Ceux-ci parlaient-ils sincèrement au nom de la tradition méconnue, ou, plutôt ne regrettaient-ils pas ces petites cours où ils avaient rempli les principaux emplois, où ils se posaient en arbitres et en oracles ? Déploraient-ils avec désintéressement l’abandon des lois anciennes, ou reniaient-ils un avenir qui se montrait hostile à leur influence, rebelle à leurs enseignemens ? Le ministre Li-sse, homme ambitieux qui poussait l’empereur à l’accomplissement rapide de son œuvre, provoqua lui-même la proscription des lettrés et la destruction des livres dans un mémorable réquisitoire où abondent les accusations contre les disciples de Confucius. Il les appelle « une classe d’hommes stupides qui se piquent d’être gens de lettres, qui ont toujours à la bouche les règles des anciens et en parlent sans cesse, qui courent en toute liberté chez les princes pour fomenter des troubles, etc., etc.[1]. » Les livres furent donc condamnés à périr avec les lettrés ; cet acte de barbarie et de vandalisme de la part d’un monarque qui se porta à bien d’autres excès lui a été reproché éternellement comme un crime de lèse-nation, car il pouvait ôter dix-huit siècles d’histoire à ce peuple si glorieux de son ancienneté.

Tandis que les lettrés, transformés en politiques, lançaient au nom du passé contre le nouvel ordre de choses un anathème qui retombait sur eux, les disciples de Lao-tseu, travestis en magiciens, s’introduisaient à la cour. L’antagonisme des deux écoles se trahissait plus complètement ; l’une remplaçait l’autre, c’est-à-dire que les intrigues du palais succédaient à la marche d’un gouvernement plus régulier. Au lieu d’avoir près de lui des savans qui l’instruisissent dans l’art de gouverner, l’empereur s’entourait de philosophes, de docteurs qui lui promettaient le breuvage d’immortalité. Ce n’étaient pas des conseils

  1. Histoire générale de la Chine, par le père Mailla, vol. II, p. 400,