Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on doit lui accorder aussi la hardiesse de l’aigle qui s’élève au-dessus des nues. Cette philosophie présentait cela de dangereux, qu’elle conduisait par une fausse interprétation à la folie ou au moins aux extravagances ; la morale de Confucius pouvait rapetisser les esprits en les emprisonnant dans un cercle d’idées pratiques auquel le temps ne devait rien ajouter.

Aussi arriva-t-il souvent qu’aux époques de crise, de transformations, l’empereur et le peuple, la cour et les classes ignorantes, obéissant à des instincts de nouveauté, abandonnèrent les préceptes des lettrés ; mais en quittant la voie de la tradition, à quoi se ralliaient les esprits ? Non pas à la pure doctrine de Lao-tseu, mais aux ridicules applications que les adeptes en avaient tirées, et qui venaient aboutir à la science occulte.

Pendant les cinq siècles qui s’écoulèrent depuis la mort de leurs fondateurs jusqu’à l’introduction officielle du bouddhisme, les deux sectes se partagèrent la Chine. La dynastie des Tchéou, qui dura près de neuf siècles (de 1122 à 249 avant J.-C.), fit parvenir à son apogée le système fédératif, qui dépérit sous les derniers souverains de la race. Durant cette période, trop féconde en troubles, la civilisation avait pris un grand essor. Les bases du gouvernement étaient posées, les lois, les rites si bien établis, qu’en beaucoup de points on a continué de les observer jusqu’à nos jours. Chaque nation a ainsi, à l’époque de son épanouissement, un vif sentiment de ses besoins, un instinct vrai du caractère qui lui est propre, et même chez celles qui ont subi le plus de vicissitudes dans le cours de leurs destinées, il reste toujours quelque chose de ces institutions, ou au moins de leurs tendances premières.

Cet âge critique de l’empire chinois fut véritablement le règne des lettrés ; ils veillaient au maintien de la tradition, à la conservation de l’édifice social et d’une doctrine invariable qui s’était, pour ainsi dire, incorporée en eux ; les Tao-sse (disciples de Lao-tseu), au contraire, restaient dans l’ombre ; leurs croyances n’avaient encore eu aucune action sur les affaires publiques. Aussi les lettrés s’alarmèrent-ils extraordinairement dès qu’ils virent les choses changer de face et leurs adversaires lever la tête. Quand au dernier des Tchéou (35e souverain de sa race) succéda la famille des Tsin, quand les sept petits états encore debout après tant de guerres s’effacèrent sous la domination d’un empereur auguste, les lettrés furent épouvantés de ne plus trouver entre le peuple et le monarque le pouvoir intermédiaire que représentaient les rois feudataires. Tous les rouages de la machine dont ils s’appliquaient