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du tsar, c’est par un dévouement de plus en plus actif au progrès et à la liberté qu’ils prétendent appeler sur leur commune patrie les sympathies de l’Europe. Quant aux peuples slaves non encore asservis à la Russie, un double intérêt, politique et moral, les portera toujours à désirer le refoulement de cet empire, qui les menace d’un double danger, car le tsarisme, faut-il le répéter ? ne reconnaîtra jamais que forcément l’indépendance de nationalités slaves étrangères à la Russie ; et une fois placées sous la suzeraineté du tsar, quelque large et tolérante que la supposent ses partisans, les nations slaves ne tarderaient pas à perdre entièrement leurs institutions propres et leurs tendances naturelles. En effet, si les peuples d’Occident, fiers de leur énergie, de leur activité généreuse, dédaignent avec raison les vertus passives où se concentre aujourd’hui la force nationale de la Russie, ils ne peuvent se montrer aussi superbes vis-à-vis des autres Gréco-Slaves. Loin d’avoir comme les Russes actuels, pour religion politique, le devoir et la soumission, ces peuples, au contraire, se distinguent par un culte ardent pour la gloire, qu’ils appellent du nom même de leur race, slava.

La gloire et l’assurance de jouer dans le monde un rôle illustre, tel est le seul prestige par lequel la Russie pourrait fasciner les Slaves. Aidez-les à acquérir sans la Russie cette gloire, objet de leur culte ; qu’ils se voient aimés de l’Europe, qu’ils sachent seulement qu’on les admire dans leurs luttes pour la liberté, et ils resteront à jamais les adversaires naturels du tsarisme. Deux idées sont indissolublement unies dans le nom même de cette race ; ces deux idées, pour ainsi dire jumelles, exprimées par les mots slovo et slava, parole et gloire, indiquent les deux passions dominantes et primitives des Slaves, qui n’ont jamais pu renoncer à avoir la parole haute, le droit d’élire et de voter joint au droit d’aspirer à toutes les charges, à toutes les illustrations civiques, c’est-à-dire de participer à tout ce qui peut élever l’homme. Un Slave dépouillé de ses deux privilèges du slovo et de la slava n’est plus un Slave, c’est un transfuge banni des foyers paternels, c’est un être déchu qui, dans les dialectes slavons, n’a pas d’autre nom possible que celui de muet (niemets). C’est pourtant à ce mutisme social, c’est à l’état de race sans parole et sans gloire que le régime russe réduirait les Slaves. Comment supposer qu’ils consentent jamais à le subir ? Non, ceux qui travaillent à détrôner dans le monde l’absolutisme n’ont pas d’auxiliaires plus assurés que les Gréco-Slaves. Mourir en hommes libres est le refrain de tous les chants serbes comme des hymnes polonais. Chaque peuple opprimé du monde