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qu’il touche le sol polonais, cesse d’avoir un maître. Tout paysan peut quitter à son gré la ferme qu’il exploite, s’il s’y sent trop grevé par le propriétaire. L’acquisition progressive du sol qu’ils ne possèdent pas est assurée aux kmietses, moyennant un dédommagement envers les possesseurs seigneuriaux. Ainsi le droit était respecté et se conciliait avec l’affranchissement. L’incurie polonaise ne donna pas malheureusement une exécution assez prompte à ces brillans décrets. La Russie se hâta de venir protester par les armes, et, les guerres de démembrement et de partage ayant recommencé, le paysan polonais, tout en n’étant plus serf, resta exclu de la possession de la terre. Il n’en est pas moins vrai que l’état social des basses classes de Pologne à cette époque était bien supérieur à l’état de ces mêmes classes dans la Prusse, l’Autriche et la Russie. Quoiqu’elles aient prétendu faire acte d’humanité en intervenant, disaient-elles, dans l’anarchie polonaise, contre le seigneur pour le serf opprimé, ce sont au contraire ces trois puissances qui ont empêché la noblesse polonaise d’achever la réforme sociale qu’elle avait si glorieusement commencée par sa charte du 3 mai.

La Pologne une fois démembrée, il ne pouvait plus être question pour elle de débats politiques ; mais il lui restait à défendre la liberté individuelle et les droits du citoyen : c’est sur ce nouveau terrain que se transporta l’amour d’indépendance qui caractérise la nation polonaise. Napoléon, en fondant le grand-duché de Varsovie, ne put s’empêcher de lui octroyer une constitution ; elle fut proclamée en 1807. Au lieu de se modeler sur celle du 3 mai, la charte napoléonienne était, comme on devait bien s’y attendre, toute française. Si le mouvement du 3 mai ne répondait plus aux idées et aux besoins nouveaux de la société, il avait eu du moins l’honneur d’abolir le servage, qui depuis cette époque n’a plus reparu sur les terres polonaises. La constitution donnée par l’empereur était donc une injure à la Pologne, lorsqu’elle déclarait comme un fait nouveau l’abolition de l’esclavage. Nous ne nierons pas que l’intervention française n’ait eu les plus heureux résultats. L’introduction du code napoléon, en proclamant l’égalité absolue de tous les habitans du pays devant la loi, nivela les rangs et les mœurs, et créa pour la première fois en Pologne une législation uniforme. Ce code fit plus que donner l’égalité civile, il donna l’égalité politique. C’était un grand pas de fait pour reconquérir l’unité morale, dont l’aristocratie avait par ses excès dépouillé la nation. Ce grand pas était dû à la France ; mais combien d’injustes entraves le protecteur laissait encore peser sur notre généreuse alliée.