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l’origine même de l’ogive, ou plutôt les causes qui favorisèrent l’adoption de cette forme et firent proscrire le plein cintre, le sens de cette révolution, son but, son esprit, son caractère.

De ces deux sortes de questions, nous n’essaierons de traiter ici que les premières, mais nous hasarderons à propos des secondes quelques aperçus destinés seulement à indiquer dans quelle voie des recherches nouvelles vous sembleraient pouvoir être utilement dirigées.

Commençons par le problème chronologique.

Il s’agit de définir le sens de ces mots : époque de transition. Ils indiquent, cela va sans dire, l’intervalle qui sépare le temps où le style à plein cintre régnait seul, et les trois siècles qui appartiennent exclusivement au style à ogive. Mais à quel moment le style à plein cintre cesse-t-il de régner seul ? c’est ce qu’il faut déterminer.

Suffit-il qu’une ogive apparaisse comme par hasard dans une partie quelconque d’un monument à plein cintre, pour attribuer ce monument à l’époque de transition ? Faut-il, au contraire, ne ranger dans cette époque que les édifices où le principe semi-circulaire et le principe aigu sont en présence et contribuent chacun dans une certaine mesure à l’effet général du monument ? Selon qu’on adopte l’une ou l’autre solution, on donne à l’époque de transition des limites assez restreintes ou une étendue presque indéfinie.

Qui ne sait en effet que, dans les constructions les plus anciennes de Rome et même de la Grèce, on peut découvrir de loin en loin quelques exemples d’arcs à ogive ? Faudra-t-il en conclure que l’époque de transition remonte jusqu’aux siècles des Héraclides ou jusqu’aux temps des Tarquins ? Et si, à des époques du moyen-âge où le règne exclusif du plein cintre ne saurait être mis en doute, nous rencontrons quelques-unes de ces ogives fortuites et isolées, faudra-t-il crier au miracle, et proclamer, comme on l’a fait quelquefois, que l’ogive était en usage sous Charlemagne, voire au temps de Dagobert ?

Non, ces exceptions ne prouvent rien. L’ogive prise en elle-même est aussi ancienne que l’architecture : c’est une de ces formes que personne n’a inventées, dont personne ne s’est servi un certain jour pour la première fois, et qu’on peut rencontrer par aventure en tout temps et en tout lieu. Les plus simples lois de la statique ne nous disent-elles pas qu’en divisant et en faisant butter l’un contre l’autre deux segmens d’un cintre, en les étayant, pour ainsi dire, l’un par l’autre, on donne à l’arcade ainsi composée plus de force qu’en lui laissant la forme semi-circulaire ? Les points d’appui, étant chargés plus directement, plus verticalement, tendent moins à s’écarter, et opposent