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compagnes à laver leur linge aux fontaines, comme les princesses de l’Odyssée. La domesticité elle-même est ennoblie par l’adoption ; le maître appelle le serviteur l’enfant de son ame (psycho paidi).

Malheureusement, ce sont là des oasis sociales. Dans les parties de l’Europe où le Gréco-Slave a subi l’influence plus directe du joug turc, russe ou germanique, il est loin d’avoir conservé aussi complètement la loyauté de ses mœurs. On doit rendre cette justice au gouvernement turc, qu’il n’a cherché que très tard à étouffer les libertés communales, comme l’ont fait de si bonne heure les autres gouvernemens européens. L’histoire nous montre même les Turcs, en partie subjugués par le génie gréco-slave, organisant leurs propres communes à l’instar de celles des Grecs. Cette imitation est allée jusqu’à constituer la province ottomane comme les éparchies des états gréco-slaves.

Tant que l’empire turc respecta les privilèges municipaux et provinciaux des peuples conquis, il put résister à l’Europe entière, car il avait pour lui la sympathie de ses sujets ; mais dès qu’il eut commencé à se montrer centralisateur à la façon des monarchies occidentales, et à sévir contre les pouvoirs locaux, sa décadence fut rapide et sa ruine inévitable. Aussi ceux des hommes d’état orientaux qui veulent sincèrement aujourd’hui régénérer l’Orient n’imaginent-ils rien de mieux que de rétablir ce qui fut autrefois ; seulement ils le font du point de vue d’un patriotisme égoïste : chacun d’eux veut le triomphe de sa race sur les races voisines. La Porte, qui a rétabli sous le nom de siouras les conseils provinciaux, se vante d’admettre à ces conseils, sans acception de race ni de culte, tout député élu dans les districts de la province. Si ce système était réellement pratiqué, les districts grecs devraient être représentés par des députés helléniques ; mais les siouras épirotes et thessaliennes prouvent qu’il n’en est rien. De plus, chaque sioura est présidée au nom du sultan par le mouhazil, gouverneur civil du lieu ; il vient, entouré d’officiers dont les ceintures sont pleines de poignards et de pistolets. L’évêque, qui préside au nom des raïas, n’a pour armes que des anathèmes spirituels, auxquels l’Osmanli répond par un sourire plein de morgue philosophique. Les séances se passent donc en délibérations arbitraires de la part des maîtres, en téménas (saluts profonds) de la part des sujets, et malheur au pauvre effendi (député grec) qui voudrait par un vote indépendant contribuer à la régénération de sa province ! au sortir de la sioura, l’avanie l’attendrait.

Le statut de Gulhané, que l’Europe avait décoré du nom de charte ottomane, n’est donc qu’un mensonge ; il avait été dicté par l’intention