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qu’au fond il n’a jamais cessé d’être, chrétien et gréco-slave. Ce seul fait devrait suffire pour rendre plus tolérant le juste orgueil que nous inspire notre civilisation. En effet, dans cette civilisation, l’Orient aussi a sa part, puisque le premier de ses peuples, le peuple grec, initia autrefois aux sciences et aux lettres l’Occident lui-même, puisque Athènes fut long-temps la rivale de Rome, et qu’après la chute de Rome, Byzance se leva pour continuer, chez les Orientaux, l’œuvre romaine et civilisatrice. N’oublions pas que la cité politique du Bosphore exerça constamment sur tout l’Orient chrétien le même charme d’attraction qu’exerce sur l’Occident la cité pontificale du Tibre.

Ainsi, un double mouvement civilisateur, émané à la fois de Rome et de Byzance, a préparé l’état actuel de l’Europe. L’antique capitale de l’Occident, après avoir subjugué les Gaules et les Bretagnes, s’est couchée sous la croix ; mais, en transmettant son héritage social aux races vaincues, elle leur a légué aussi son code et ses idées politiques. La civilisation latine est devenue, après quinze siècles, la civilisation anglo-française ; elle est allée conquérir le monde transatlantique, et atteint aujourd’hui jusqu’aux extrémités de l’Océanie. De son côté, la capitale de l’Orient, après avoir converti à ses lois et à ses mœurs l’immense race slave, a dû, comme la cité du Tibre, subir le joug étranger ; mais elle a su, comme l’avait su Rome, transformer sa défaite politique en une propagande victorieuse. Loin de périr, la civilisation qu’elle a créée s’est infiltrée silencieusement au sein des empires mongols et tartares, et de la Sibérie qu’elle féconde, elle est près d’envahir la Chine.

Les institutions des Gréco-Slaves et les institutions occidentales dérivent du même principe ; elles ont un berceau commun, l’antiquité classique. L’Europe peut donc revendiquer les unes comme les autres. Si ces institutions diffèrent sur plusieurs points, elles ont aussi des liens étroits qu’on ne peut méconnaître. Tout ce qui caractérise les sociétés d’Europe distingue aussi le monde gréco-slave ; on y retrouve la fraternité civique, la royauté tempérée, le droit d’association presque illimité, la nomination à toutes les charges par élection, le concours des capacités, la responsabilité des agens du pouvoir, en un mot la liberté réglée par la loi. Si l’on devait reprocher aux Gréco-Slaves un défaut, ce ne serait pas, certes, l’obéissance servile, mais, au contraire, une ardeur inconsidérée dans la poursuite de l’indépendance. Les Grecs et les Polonais de ce siècle l’ont trop bien prouvé. Quelle guerre d’émancipation peut se comparer à celle de la Grèce ? Quel peuple civilisé a fait plus pour être libre que les Hellènes depuis