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Qui déléguera leurs pouvoirs à ces nouveaux docteurs ? On peut se passer à la rigueur d’une église et d’un pape ; mais encore faut-il un évangile. Quel homme osera dire : Voilà l’évangile de l’humanité ? Et s’il en est un assez orgueilleux pour le dire, en trouvera-t-il un autre qui le veuille croire ?

S’il est donc une chose palpable, évidente à tout homme de bon sens, c’est que la philosophie est incapable de se charger à elle seule du ministère spirituel dans les sociétés modernes.

Nous nous attendons à une objection : on se plaindra que nous voulions réduire la philosophie à l’inertie, en l’enfermant dans la région de la science et en lui interdisant la prédication universelle des idées morales et religieuses ; on nous reprochera notre timidité, notre indifférence, qui sait ? peut-être notre hypocrisie. Si graves que soient ces reproches, nous nous sentons dans un calme profond devant ceux qui pourront nous les adresser, ayant en nous une invincible persuasion que nous ne les méritons pas. Expliquons-nous nettement.

On nous dira en effet, et ce sont les modernes voltairiens qui tiendront ce langage : Vous proclamez que la philosophie est incapable de remplacer la religion ; vous admettez donc que la philosophie et la religion sont deux puissances également nécessaires, également légitimes, également indépendantes, également immortelles. Il faut donc qu’il y ait entre elles une différence nécessaire, car, si elles répondent aux mêmes besoins, si elles agitent les mêmes problèmes, si elles ont les mêmes objets, il faut, pour admettre qu’il est absolument impossible de les fondre l’une dans l’autre, reconnaître qu’il existe entre elles une différence naturelle, absolue, éternelle. Il faut donc ramener la distinction des vérités naturelles et des vérités surnaturelles, donner à la religion et à la philosophie deux domaines parfaitement séparés, à l’une les vérités de la raison, à l’autre les vérités de la foi ; en un mot, il faut en revenir à Descartes et au XVIIe siècle. Or, premièrement, la distinction des vérités naturelles et des vérités surnaturelles est fausse. Il n’y a pas de vérités surnaturelles ; il n’y a d’autre source de vérité parmi les hommes que la raison. La raison est divine sans doute dans sa source éternelle, et en ce sens toute vérité est divine, on, si l’on veut employer ce langage, surnaturelle ; mais la raison, dans ses manifestations, est toujours humaine ou naturelle, comme on voudra. Dans les deux cas périt l’artificielle distinction des vérités naturelles et surnaturelles. Serait-on reçu à distinguer de nos jours deux sortes de phénomènes, les phénomènes naturels et les phénomènes surnaturels ? En un sens, toutes les causes secondes tirent leur force, leur être,