Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on voit apparaître, et au XVIIe se constituer un autre pouvoir spirituel, celui de la raison affranchie, celui de la philosophie. Les philosophes entrent en partage du ministère spirituel ; ils répandent dans la société des idées religieuses et morales ; ils parlent aux hommes de Dieu et du devoir. Depuis Descartes, ce droit des philosophes a toujours été plus ou moins contesté, et quel droit en ce monde a le privilège de ne pas l’être ? mais depuis la révolution française, la raison publique reconnaît à la philosophie comme à la religion le droit d’exercer le ministère spirituel, le droit de répandre parmi les hommes des idées morales et religieuses.

Or, voici un écrivain qui conteste à la religion chrétienne le droit d’exercer le ministère spirituel, le droit de parler aux hommes de Dieu et de leurs devoirs. Supposons que la religion chrétienne soit universellement reconnue incapable d’exercer ce droit sublime, qui en sera investi à sa place ? car enfin il faut à la société un ministère spirituel qui ait le caractère de l’universalité, qui embrasse tous les membres qui la composent, les grands et les petits, les riches et les pauvres, les savans et les ignorans, les femmes comme les hommes, les enfans comme les vieillards. La religion chrétienne étant déchue, énervée morte, si l’on en croit M. Michelet, elle ne remplit plus ce saint ministère. Qui le remplira ? Il y a trois réponses à cette question.

On peut espérer remplacer la religion chrétienne et en général les religions positives par la philosophie, ou par une religion nouvelle, ou par la simple religion naturelle. Si absurdes que puissent paraître à des esprits sérieux, à des hommes d’expérience et de pratique, ces deux dernières solutions du problème, discutons-les rapidement.

Au XVIIIe siècle, la religion naturelle était fort à la mode. Cette chimère s’est évanouie au premier souffle de l’expérience. La religion naturelle, telle au moins qu’on l’entendait au XVIIIe siècle, n’a qu’un malheur, c’est qu’elle n’existe pas ; c’est un être d’imagination et de fantaisie. J’appellerais religion naturelle un certain corps de dogmes religieux et de règles morales qui seraient communs à tout le genre humain, qu’on trouverait identiques, permanens, éternels chez tous les hommes, sauvages ou civilisés, anciens ou modernes. Un tel corps de doctrines n’existe pas. Il n’y a qu’un seul point commun à tous les systèmes religieux, c’est l’idée de Dieu ; mais je défie d’articuler un dogme précis qui se rencontre au sein de tous les cultes. La nature a placé en nous les germes sacrés de la religion et de la morale ; c’est l’ouvrage et c’est l’honneur de la civilisation de les développer d’âge en âge. L’histoire de l’humanité à son titre le plus relevé, c’est l’histoire