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que la moralité s’est affermie de nos jours avec le progrès des lumières, sans pourtant que l’esprit de pénitence et de mortification paraisse dominant, comme on se plaît à le répéter.

Mais ce que nous voulons surtout conclure des paroles que nous venons de citer, c’est qu’il y a une distinction essentielle à faire entre le libre examen et la liberté morale, et qu’il est complètement faux que la lutte du christianisme et de la philosophie soit celle de la grace et du libre arbitre.

Que le christianisme, tout en maintenant avec force la doctrine de la grace, laquelle, aux yeux d’un philosophe, a un sens très profond et garde au sein même du rationalisme une valeur durable, ait toujours réservé les droits du libre arbitre, c’est ce qu’il est trop facile de prouver. Jésus-Christ, l’Homme-Dieu, n’est-il pas le type de la liberté morale ? Son sacrifice, qui se renouvelle chaque jour sur l’autel, n’a-t-il pas été volontaire ? Ne considérez Jésus-Christ que comme le type de l’humanité, est-ce un mystique ? est-ce un quiétiste ? est-ce même un contemplatif ? Quoi ! la religion du Christ, qui a affranchi la femme et l’esclave, et appelé à la dignité morale des millions de créatures dégradées, serait la religion de la fatalité ! Mais tous ses dogmes la condamnent. Le dogme même du péché originel, loin d’exclure la liberté morale, l’implique et la suppose.

L’église a-t-elle été sur ce point infidèle à l’exemple du Christ et à l’esprit de l’Évangile ? a-t-elle jamais autorisé le fatalisme, le quiétisme ? Pélage sans doute a été condamné pour avoir nié la grace ; mais les manichéens ; les prédestinations, les priscillianistes, qui niaient le libre arbitre, n’ont-ils pas été frappés en même temps des anathèmes de l’église ? On citera tel père ou tel docteur ; mais aucun père n’est l’église. Saint Augustin lui-même, si grand qu’il puisse être, n’est pas l’église et ne l’engage pas par ses sentimens. Il a adopté dans toute leur terrible puissance les dogmes de la grace et de la prédestination. Il a épuisé son ardent génie contre Pélage et Célestins ; mais il a combattu Manichée. Eût-il incliné au fatalisme, incliner, pour un ferme génie, ce n’est pas tomber. Fût-il tombé, il n’a pas entraîné l’église dans sa chute.

Quand l’augustianisme exagéré est devenu le calvinisme et le luthéranisme, l’église l’a-t-elle épargné ? Les conciles du Ve siècle n’ont-ils pas eu leur écho dans le concile de Trente ? La part du libre arbitre, celle du mérite des œuvres, n’ont-elles pas été faites d’une main ferme et prévoyante ? Un siècle plus tard, nous retrouvons dans le jansénisme une sorte de calvinisme déguisé. L’église n’a-t-elle pas fait