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2° les docteurs catholiques les plus opposés au quiétisme en théorie, notamment Bossuet, poussent, dans la pratique, à un mysticisme qui tue l’activité et la liberté ; 3° il est de l’essence du catholicisme et en général du christianisme de ruiner la liberté morale au profit de la grace divine.

Tout le livre de M. Michelet, considéré comme œuvre sérieuse, est contenu dans ces trois affirmations. Eh bien ! la vérité nous force à dire qu’il n’en est pas une qui tienne contre une discussion régulière.

Soutenir qu’il est de l’essence du christianisme de détruire la liberté humaine, c’est en vérité tenir trop peu de compte de toutes les données de la théologie, de la philosophie et de l’histoire. Prétendre que l’opposition de la philosophie et de la religion représente celle du fatalisme et de la liberté, c’est confondre d’une manière étrange l’usage libre de la raison, qui constitue en effet l’essence de toute philosophie, avec la liberté morale, la responsabilité des œuvres, qui sont choses toutes différentes. Oui, sans doute, la religion parle au nom de Dieu et fait la part petite à la raison libre ; mais la religion, comme la philosophie, reconnaît et ne peut pas ne pas reconnaître la liberté morale ; ou, pour mieux dire, toute grande religion, comme toute grande philosophie, s’efforce d’expliquer la liberté morale et de la régler. Il arrive souvent sans doute que, pour l’expliquer, on la compromet et on la détruit ; mais c’est un malheur qui arrive aux philosophes tout aussi souvent qu’aux théologiens. Jansénius, Calvin et Spinoza, l’un catholique, l’autre protestant, le troisième philosophe, ont été également conduits par leurs systèmes à méconnaître et à nier le libre arbitre. Pélage n’était-il pas un théologien ? c’est au nom de la théologie qu’il a nié la grace, comme c’est au nom de la philosophie que Hobbes et Collins ont nié le libre arbitre. Bien n’est donc plus artificiel que cette opposition qu’on imagine entre la philosophie et la religion ; rien n’est plus évident au contraire que la distinction qu’on méconnaît entre le libre examen et la liberté morale.

Quel défenseur plus audacieux du libre examen que Luther ? et cependant M. Michelet sait fort bien que Luther a écrit le De Servo arbitrio, et qu’il a poussé, comme Calvin, la doctrine de saint Augustin jusqu’au fatalisme. Cent fois le pénétrant historien a signalé ce curieux contraste. Bien plus, M. Michelet, qui voit aujourd’hui dans le christianisme l’ennemi du libre arbitre, qui enseigne que la philosophie, en affranchissant la raison, a affermi la liberté morale, pensée solide et vraie pourvu qu’on ne l’exagère pas ; M. Michelet, qui pousse cette conviction à tel point qu’il annonce pour la moralité humaine