Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ploi des deniers du royaume ; ce n’était là, on le conçoit, qu’une institution morte, qui, cessant d’être prise au sérieux et par les rois et par les peuples, s’abolit enfin d’elle-même et sans bruit. Selon ses caprices, l’autorité royale imposait les tributs, et selon ses caprices elle en dépensait le produit ; dans cette longue période il serait impossible de trouver la trace d’un budget. Quelques ministres, il est vrai, pour se reconnaître parmi les tracas et les embarras d’une puissance mal définie et si complètement anormale, faisaient de temps à autre dresser des mémoires par les commis subalternes ; mais ce sont là des travaux d’une importance fort secondaire, qu’on recherche avidement aujourd’hui à titre de curiosités historiques, et non certes pour y puiser d’utiles enseignemens. Cependant, à la fin du dernier siècle, on comprit le besoin de débrouiller un peu l’énorme chaos enfanté par la négligente et aveugle routine, et cela explique l’immense quantité de documens statistiques laissés dans les archives des ministères par les conseillers de Charles III et par ceux de Charles IV. Comment, dès cette époque même, ne parvint-on pas, sinon à introduire l’ordre dans les services publics, du moins à remédier aux abus les plus crians ? Pourquoi les vues élevées, les vastes conceptions des Aranda, des Jovellanos, des Campomanès, demeurèrent-elles à l’état de projets ? On en peut aisément découvrir la raison : c’est que les abus alimentaient le luxe et la corruption de la cour ; les meilleurs esprits reculèrent devant les scandales que des réformes nettement entreprises et vigoureusement poursuivies n’auraient point manqué de soulever, à la tête comme au cœur de la nation.

En 1808, l’heure des révolutions sonna pour l’Espagne. Des cortès souveraines s’assemblèrent qui, en dépit de l’invasion et de la guerre étrangère, abordèrent avec courage les plus grands problèmes sociaux. Sur les questions de principe, les cortès de Cadix firent de nombreux emprunts aux constitutions des pays plus avancés, à celles de l’Angleterre et de la France, de la France surtout ; mais sur les questions de finance, elles se virent contraintes de suivre les anciens erremens. Par l’article 131 de leur constitution, les cortès de Cadix s’attribuaient, il est vrai, la faculté d’établir l’impôt et de fixer le chiffre des dépenses ; il y a mieux encore, dans la fameuse charte datée de Bayonne, du 7 juillet 1808, et octroyée par Napoléon à la Péninsule, on reconnaissait, on restaurait les vieilles franchises ; on prescrivait que, de trois en trois ans, les orateurs du conseil d’état soumettraient à l’approbation des cortès une loi établissant la balance entre les recettes et les dépenses. Nous n’avons pas à nous occuper des prescriptions de cette charte qui jamais ne furent mises à exécution ; quant à la constitution de Cadix, il est aisé de voir que, de ses dispositions financières, ne pouvait résulter pour le pays aucun avantage réel. Les cortès constataient leur droit, sans entreprendre sérieusement de l’exercer ; elles s’attribuaient la faculté de voter l’impôt et de fixer le chiffre des dépenses ; mais comme, l’impôt une fois voté, elles abandonnaient au prince le soin d’en distribuer le produit dans les divers