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déserter leur drapeau ? Ont-ils renié la politique soutenue par eux depuis quinze ans ? Non. Ils sont restés, ils resteront fidèles à leur parti, à leur politique ; et s’ils attaquent le ministère, c’est par la seule raison que cette politique leur semble compromise par ses fautes.

Est-ce la première fois d’ailleurs que le parti conservateur entre en lutte avec le ministère du 29 octobre ? On oublie les graves dissentimens qui se sont élevés depuis quatre ans entre le ministère et la majorité. Combien de fois n’a-t-on pas vu la majorité elle-même imposer sa politique au ministère, et le ministère lui sacrifier la sienne ? Le lendemain des évènemens de 1840, le ministère veut rentrer dans le concert européen et dans l’alliance anglaise ; il passe la convention des détroits, il signe le traité du 20 décembre 1841 que fait la majorité ? Elle blâme cet empressement, elle recommande au ministère de ne pas engager au dehors la liberté de la France. Elle veut que le traité du 20 décembre ne soit pas ratifié. Elle va plus loin ; elle exige que le ministère négocie la révision des traités de 1831 et 1833 ; et M. Guizot, partisan déclaré du droit de visite, s’oblige à en poursuivre l’abolition ! Plus tard, le ministère, cherchant toujours à renouer l’alliance rompue, veut procurer des avantages commerciaux à l’Angleterre. Qu’arrive-t-il ? Le ministère, vaincu par les résistances de la majorité, est forcé de passer la convention linière, défavorable aux intérêts anglais. Une question s’élève en Syrie ; l’anarchie dévore ces provinces sur lesquelles la France devrait étendre une main protectrice ; l’Angleterre et l’Autriche, de concert avec le cabinet français, règlent à Constantinople l’état politique du Liban. Notre ministère accepte une intervention collective dans une œuvre qui devrait s’accomplir sous le patronage exclusif de la France. Que fait le parti conservateur ? Il désavoue la conduite du ministère ; il blâme la décision prise par les puissances, il exprime le vœu que la Syrie soit replacée sous l’administration de ses chefs indigènes. Nous ne parlons que des questions étrangères ; que serait-ce si nous parlions des questions administratives, ou de politique intérieure, sur lesquelles le ministère, combattu par la majorité ou intimidé par elle, s’est vu forcé de suivre une ligne contraire à ses desseins ? Dans les questions commerciales, dans les questions industrielles, est-ce le ministère qui a dirigé la majorité ? Non. C’est la majorité qui a dirigé le ministère. Pourquoi le projet d’union douanière avec la Belgique a-t-il été mis de côté ? Parce que le ministère a craint M. Fulchiron. Pourquoi la dotation n’a-t-elle pas été portée à la tribune ? pourquoi le projet sur les ministres d’état n’a-t-il pas été défendu ? pourquoi a-t-on renoncé au banc des évêques ? Parce qu’on a craint la majorité. Une loi importante, celle de l’enseignement secondaire, rencontre une vive opposition ; cette opposition, d’où vient-elle ? Des rangs conservateurs. Qui a nommé M. Thiers rapporteur du projet de loi ? La majorité conservatrice. Nous pourrions citer d’autres dissentimens entre le ministère et la majorité. Ceux que nous rappelons suffisent pour prouver que le parti conservateur n’a jamais cessé de désavouer sur plusieurs points la politique