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rallier à elle tous les esprits, tous ceux du moins qui ne rêvent pas le retour de la société du moyen-âge, la philosophie n’a qu’à leur montrer la racine sacrée de l’ordre constitutionnel et de la loi française

Allons plus loin : n’est-il pas évident à tout observateur impartial que les principes de la révolution française pénètrent peu à peu dans toutes les sociétés européennes, et même au-delà de l’Océan ? Et depuis un demi-siècle ne voyons-nous pas s’accomplir chaque jour la prophétie de Mirabeau, que ces principes sont destinés à faire le tour du monde ? S’il en est ainsi, il faut avouer que l’avenir de la philosophie n’est pas tout-à-fait en péril.

Telle est la réponse simple, mais péremptoire, que nous nous bornerons à faire à tous ceux qui se mettent aujourd’hui sous l’abri du nom révéré de Pascal pour renouveler le scepticisme, décrier la raison humaine, nous endormir dans un mysticisme individuel sans solidité et sans grandeur, ou nous ramener à une domination que nos pères ont brisée.

Est-ce à dire que nous entendions contester la salutaire autorité de la religion ? A Dieu ne plaise ! La religion et la philosophie, nous l’avons fait voir mille fois, sont établies sur des vérités différentes et non opposées. Chacune d’elles a un domaine distinct et légitime. Déclarer la guerre à la religion au nom de la philosophie serait une grande folie, car la philosophie ne peut remplacer la religion, et dans une telle entreprise elle ne ferait paraître autre chose que son ambition et son impuissance. D’un autre côté, ce ne serait pas une moindre folie de déclarer la guerre à la philosophie au nom de la religion, et, pour attirer au christianisme, de calomnier la raison, d’avilir l’intelligence et d’abêtir l’homme. La religion et la philosophie sont deux puissances également nécessaires, qui, grace à Dieu, ne peuvent se détruire, et qui pourraient être aisément unies pour la paix du monde et le service du genre humain. Le vrai courage, la vraie sagesse est d’être tour à tour pour celle des deux qui est attaquée par l’autre. Or, nous nous adressons à tout homme de bonne foi : qui attaque aujourd’hui et qui est attaqué ? Évidemment la philosophie n’attaque point ; elle se défend. Voilà pourquoi plus que jamais nous sommes avec elle ; et, qu’il nous soit permis de le dire, en évoquant un adversaire tel que Pascal, nous avons assez fait voir que nous sommes peu disposé à reculer devant les autres.


V. COUSIN.