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notre temps, et posons cette seule question aux détracteurs de la raison et de la philosophie :

Sur quelle base est assis tout l’édifice de la société française ? De quels élémens est-il formé, et quelles mains l’ont élevé ? Les codes qui depuis cinquante années président à notre vie publique et privée, ont-ils été conçus et délibérés dans des synodes, comme les capitulaires de Charlemagne ? Non : ils sont l’ouvrage de l’assemblée constituante et du conseil d’état de l’empire. Les élémens des lois qui nous gouvernent, ce sont les idées de toutes parts répandues par la philosophie, idées solides autant que généreuses, que la révolution française n’a point faites, mais qu’elle a proclamées, qu’elle a défendues d’abord avec l’épée, et gravées ensuite sur l’airain de nos codes pour l’exemple et pour l’instruction du monde. Dans l’ordre politique, quel est le principe avoué du gouvernement monarchique ? Le droit divin est aujourd’hui une extravagance qui ne serait pas même rappelée sans péril. La force de la royauté est tout entière dans la raison publique reconnaissant la nécessité d’un pouvoir permanent et inviolable pour le maintien le plus certain de l’ordre et de la liberté. Les droits et les devoirs réciproques qui forment en quelque sorte la trame de la vie sociale, particulièrement ces grands devoirs des enfans, des pères, des époux, la loi civile les a tirés de la seule idée de l’honnête et du juste : ils reposent à ses yeux sur leur propre évidence, sur la force et la sainteté de la justice naturelle. Ainsi que le code civil, le code pénal n’a point d’autre fondement. La vertu par elle-même mérite une récompense, et le crime mérite un châtiment ; il le reçoit d’abord dans les tourmens de la conscience, et il le reçoit aussi à la face de tous, comme un public enseignement, au nom de cette justice suprême, de cette justice armée qu’on appelle l’état.

Que l’on parcoure ainsi tous nos codes : on y rencontrera le même esprit ; on n’y trouvera pas un seul principe qui excède la raison, la morale et la religion naturelle.

Et ce caractère incontestable de la législation et de la société française n’est pas un paradoxe, un prodige, un monstre dans notre histoire ; car cette histoire n’est guère autre chose, depuis trois siècles, que le progrès continu du génie séculier. Or, faites-y bien attention : tout progrès de la sécularisation est un hommage rendu à la puissance de la raison naturelle, et par conséquent à la puissance de la philosophie. La seule existence de notre société, telle que le temps et la révolution l’ont faite, est donc le triomphe de la philosophie, et, tant que notre société durera, la philosophie n’a rien à craindre ; car pour