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et, ce qui vaut mieux encore, sa bonté ? Qui enfin leur a inspiré cette touchante et solide espérance que, cette vie terminée, l’ame immatérielle, intelligente et libre sera recueillie par son auteur ? Qui leur a dit qu’au-dessus de toutes les incertitudes il est une certitude suprême, une vérité égale à toutes les vérités de la géométrie, c’est que dans la mort comme dans la vie un Dieu tout-puissant, tout juste et tout bon préside à la destinée de sa créature, et que derrière les ombres du trépas, quoi qu’il arrive, tout sera bien, parce que tout sera l’ouvrage d’une justice et d’une bonté infinies[1] ?

Je le demande : quelle puissance a enseigné tout cela à tant de milliers d’hommes dans l’ancien monde, avant la venue de Jésus-Christ, sinon cette lumière naturelle qu’on traite aujourd’hui avec une si hautaine ingratitude ? Qu’on le nie devant les monumens irréfragables de l’histoire, ou que l’on confesse que la lumière naturelle n’est pas si faible pour nous avoir révélé tout ce qui donne du prix à la vie, les vérités certaines et nécessaires sur lesquelles reposent la famille et la société, toutes les vertus privées et publiques, et cela par le pur ministère de ces sages encore ignorés de l’antique Orient, et de ces sages mieux connus de notre vieille Europe, hommes admirables, simples et grands, qui, n’étant revêtus d’aucun sacerdoce et d’aucun pouvoir politique, n’ont eu d’autre mission que le zèle de la vérité et l’amour de leurs semblables, et qui, pour s’être appelés seulement philosophes, c’est-à-dire amis de la sagesse, ont souffert la persécution, l’exil, la mort même, quelquefois sur un trône et le plus souvent dans les fers ; un Anaxagore, un Socrate, un Platon, un Aristote, un Zénon, un Épictète, un Marc-Aurèle !

Et cette législation romaine qui, pendant de si longs siècles, a donné au monde le gouvernement le plus équitable qui fut jamais, qui l’a inspirée et qui l’a soutenue ? Apparemment encore la raison naturelle, cette raison que l’on voudrait reléguer dans un coin obscur de nos écoles, et que même on en voudrait bannir, tant on la trouve inutile ou malfaisante !

Et si nous passons au monde moderne depuis la venue de Jésus-Christ, que de bienfaits encore n’aurions-nous pas à rapporter à la raison naturelle et à ses progrès, au milieu même des bienfaits évidens de la loi chrétienne ? Mais franchissons le moyen-âge, arrivons à

  1. On ne pouvait citer ici les textes qui justifient toutes ces assertions. Ils sont nombreux et incontestables. Tout homme un peu versé dans la philosophie ancienne les sentira, en quelque sorte, à travers cette libre traduction.