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pas tout-à-fait exacts, et qui ressemblent à des pensées hasardées que l’on écrit seulement pour les examiner avec plus de soin. Ce qu’il dit, par exemple, tit. XXV, 15, que le titre par lequel les hommes possèdent leur bien n’est, dans son origine, que fantaisie, ne conclut rien de ce qu’il en veut conclure, qui est la faiblesse de l’homme, et que nous ne possédons notre bien que sur un titre de fantaisie… Ce qu’il dit au même endroit, n° 17, touchant les principes naturels, me semble trop général… Il suppose, dans tout le discours du divertissement ou de la misère de l’homme, que l’ennui vient de ce que l’on se voit, de ce que l’on pense à soi, et que le bien du divertissement consiste en ce qu’il nous ôte cette pensée. Cela est peut-être plus subtil que solide… Le plaisir de l’ame consiste à penser, et à penser vivement et agréablement. Elle s’ennuie sitôt qu’elle n’a plus que des pensées languissantes… C’est pourquoi ceux qui sont bien occupés d’eux-mêmes peuvent s’attrister, mais ne s’ennuient pas. La tristesse et l’ennui sont des mouvemens différens… M. Pascal confond tout cela. Je pourrais vous faire plusieurs autres objections sur ses Pensées, qui me semblent quelquefois un peu trop dogmatiques, et qui incommodent ainsi mon amour-propre, qui n’aime pas à être régenté si fièrement. »

Et savez-vous le secret de ce goût très médiocre de Nicole pour les Pensées ? C’est que ce livre est l’expression la plus forte du jansénisme, et qu’à dire vrai Nicole n’était guère janséniste. Il s’était laissé engager dans ces querelles, un peu par conviction, beaucoup par ses amitiés, surtout par une antipathie sincère et constante pour les jésuites. Il était bien plutôt un de leurs adversaires qu’un vrai disciple de Port-Royal. Il n’avait pas connu Saint-Cyran ; il n’avait jamais senti la main de cet homme extraordinaire qui osa regarder en face Richelieu et lui tenir tête ; qui, du fond de son cachot de Vincennes, avec quelques billets, gouvernait souverainement Port-Royal ; qui décida de la destinée d’Arnauld, et exerçait sur tout ce qui l’approchait un ascendant irrésistible ; doux et humble dans la forme, comme son ami saint François de Sales, mais au fond ardent, inflexible, extrême. La seule grande influence que Nicole ait subie est celle d’Arnauld. Il l’admirait et l’aimait, et mit volontiers au service de ses desseins son élégante latinité, sa plume modérée et facile ; mais il se permettait de choisir parmi les doctrines de son illustre ami. Comme lui, il repoussait la morale relâchée des jésuites, plus fausse en effet et tout autrement dangereuse que l’austérité excessive de Port-Royal ; il avait horreur du probabilisme, qui ruine toute certitude et toute obligation morale ;