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de ses plaisanteries, et il arrive à la forêt de Teutobourg, au champ de bataille où Hermann défit les légions de Varus et légua un glorieux souvenir à la Germanie. Voici quelques-unes des réflexions inspirées au poète par l’héroïque forêt nationale


« Si Hermann n’avait pas gagné la bataille avec ses blondes hordes germaines, la liberté allemande aurait péri, et nous serions devenus Romains

« La langue romaine, les mœurs romaines régneraient chez nous. Il y aurait des vestales même à Munich, et les Souabes s’appelleraient Quirites !

« Hengstenberg serait aruspice et fouillerait dans les entrailles des bœufs. Neander serait augure et consulterait le vol des oiseaux.

« Raumer ne serait pas un lump (gueux) allemand ; ce serait un lumpazius romain, et Freiligrath ferait des vers sans rimes, comme autrefois Horazius Flaccus.

« Le grand mendiant, le père Jahn, s’appellerait aujourd’hui Grobianus. Me Hercule ! Massmann parlerait latin, Marcus Tullius Massmannus.

« Les amis de la vérité se battraient dans l’arène avec des lions, des hyènes et des chakals, au lieu de se battre avec des chiens dans les petits journaux.

« Schelling serait un Sénèque et mourrait comme lui, et nous dirions à Lornélius : Cacatum non est pictum.

« Dieu soit loué ! Hermann a gagné la bataille, les Romains ont été chassés, Varus est mort avec ses légions, et nous sommes restés Allemands.

« Nous sommes restés Allemands, nous parlons allemand, comme on le parlait jadis. L’âne s’appelle âne et non asinus, et les Souabes sont demeurés des Souabes.

« Raumer est resté un gueux d’allemand dans notre langue du nord : Freiligrath fait des vers qui riment, et ce n’est pas du tout un Horace.

« O Hermann ! c’est à toi que nous devons cela ! C’est pourquoi on t’a élevé un monument à Dettmold. Moi-même, j’ai souscrit. »


Il y a beaucoup d’esprit assurément dans tous ces vers ; mais si M. Heine est seul dans son parti, si de tous les poètes ses confrères, pas un, je dis parmi les plus ingénieux et les plus hardis, ne voudrait combattre à ses côtés, nous pouvons maintenant le comprendre sans peine. C’est surtout par ce ton cavalier, par cette façon irrévérencieuse de toucher aux sujets sacrés du pays, que M. Heine s’est aliéné ses compatriotes. A l’entendre parler d’une manière si leste, on a pu se demander plus d’une fois s’il était encore Allemand. En vain s’annonçait-il comme le plus audacieux soldat de la jeune armée, en vain lançait-il au plus fort des bataillons ennemis ses flèches rapides, on ne savait trop si l’on pouvait compter sur lui ; on ne connaissait pas son drapeau. Si l’humoriste capricieux, indiscipliné, échappait naturellement aux théories des critiques et des historiens littéraires, les