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qui apparaissent çà et là avec une vigueur indomptée chez cet écrivain, d’ailleurs si gracieux et si fin. Déjà, vers les dernières pages du Livre des Chants, il nous avait peint sur une toile sinistre les divinités du Nord escaladant les cieux chrétiens, les nains bossus, les kobolds hideux, difformes, terrassant à coups de poing les divins anges aux ailes de soie, enfin toute la théogonie brutale des pays glacés se ruant, comme une invasion de Huns, dans le merveilleux paradis de Dante. Déjà, il y a quelques années, dans ses brillantes fantaisies historiques sur l’Allemagne, il annonçait, au moment de conclure, une révolution effroyable qui viendrait du Nord ; il appelait au combat ces mêmes divinités scandinaves, dont il dispose selon ses caprices, et ne nous montrait-il pas le dieu Thor armé de son marteau gigantesque, et tout prêt à démolir les cathédrales ? Ce n’était pas assez de l’annoncer, il a voulu réaliser ses prédictions ; il a aiguisé la hache de son licteur. Maintenant que les colères du poète germain ont été si durement satisfaites, il faut espérer que nous ne retrouverons plus de pareilles inventions dans ses livres. Certes, ce n’est point là la vocation de cet esprit charmant, et, malgré toutes les ressources d’une plume tour à tour gracieuse et énergique, il n’échappe jamais complètement à l’emphase du mélodrame, quand il ordonne à sa muse ces massacres de septembre.

Toutes ses affaires réglées à Cologne, le poète repart. La poste prussienne l’emmène du côté de Hambourg. La matinée est triste, une grise et pluvieuse matinée aux approches de l’hiver. Est-ce pour cela que le poète est si gai ? En dépit de ces nuages, en dépit de cette brume froide et pénétrante, il est plus joyeux que jamais. Toutes ces petites villes qu’il traverse, Mulheim, Hagen, réveillent chez lui bien des souvenirs et l’amusent singulièrement. À table d’hôte, la cuisine allemande lui inspire des plaisanteries sans fin ; les poulets, dans le plat, le reconnaissent ; il y a des dindons à la broche qui lui adressent de longs discours. Comme cette oie grasse a une physionomie débonnaire ! comme elle le regarde avec une expression affectueuse ! Peut-être, pense-t-il, m’a-t-elle connu autrefois, quand nous étions jeunes tous deux. Elle avait sans doute le cœur très tendre, mais sa chair est bien dure. Des dindons et des oies, l’auteur passe aux Westphaliens d’une façon fort impertinente et sans la moindre transition. Ses camarades d’université étaient tous des Westphaliens, buvant sec, mangeant salé, amis à toute épreuve, et, quoique fort gras, très disposés à la mélancolie.

Ainsi va notre voyageur, assez peu difficile, cette fois, sur le choix