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M. Heine, et la tâche de son commentateur n’est pas facile. Cependant ici, sauf quelques paroles que je voudrais retrancher, le ton léger et fantasque de tout l’ouvrage me semble une suffisante excuse pour les irrévérences du poétique humoriste. Je n’ai pas le courage d’insister, et ce n’est pas moi qui voudrais combattre sous la bannière de M. Menzel.

Quand M. Heine, à la fois souriant et irrité, a achevé son apostrophe à la cathédrale de Cologne, il arrive par les rues tortueuses jusqu’au pont de bateaux du Rhin, et là il doit bien un salut au grand fleuve. « Salut, ô mon père ! que de fois sur la terre d’exil j’ai pensé à toi avec confiance, avec amour ! » Mais le vieux fleuve est triste et raconte douloureusement au poète ce qui lui est arrivé depuis treize ans. A Biberich, il y a quelques années, les habitans du duché de Nassau roulèrent dans ses eaux un amas de pierres pour construire une digue. Quel dur affront ! comme ces pierres insolentes l’ont blessé ! comme elles étaient lourdes ! moins lourdes pourtant que les vers de M. Nicolas Bekker. La sotte chanson et le sot écrivain ! ce souvenir l’impatiente et l’irrite. Quoi ! faire du Rhin une chaste vierge, une pure jeune fille, quand les Français savent si bien le contraire ! il s’arrache de dépit sa barbe grise. Le voilà ridicule à jamais, le voilà compromis politiquement :


« Car le jour où les Français reviendront, je serai forcé de rougir devant eux, moi qui si souvent, avec larmes, ai prié le ciel qu’il nous les renvoie !

« Je les ai toujours tant aimés, ces chers petits Français ! Chantent-ils, dansent-ils toujours comme autrefois ? portent-ils des culottes blanches ?

« Je les reverrais bien volontiers, mais je crains qu’ils ne me persiflent à cause de cette chanson maudite.

« Alfred de Musset, ce gamin de Paris, viendra peut-être à leur tête en battant du tambour, et il me tambourinera d’atroces plaisanteries. »

Ainsi se plaignait le pauvre vieillard ; il ne pouvait se consoler. Je lui adressai maintes paroles encourageantes pour lui redonner du cœur :

« Ne crains pas, mon père, la raillerie moqueuse des Français. Ce ne sont plus les Français d’autrefois. Ils ne portent plus les mêmes culottes blanches.

« Maintenant ils font de la philosophie, ils parlent de Kant, de Fichte, de Hegel ; ils fument et boivent de la bière ; il y en a même qui jouent aux quilles.

« Ils deviennent philistins comme des Allemands, et seront pires que nous bientôt. Ce ne sont plus les fils de Voltaire, ils sont du côté d’Hengstenberg. -

« Alfred de Musset, j’en conviens, est encore un terrible gamin ; mais ne crains rien, nous saurons bien lui lier sa maudite langue. »